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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
À CUBA, AUX ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
ET VISITE AU SIÈGE DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES

(19-28 SEPTEMBRE 2015)

SAINTE MESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Place de la Revolution, La Havane
Dimanche 20 septembre 2015

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Jésus pose à ses disciples une question apparemment indiscrète : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Une question qu’il pourrait nous poser aujourd’hui à nous aussi : De quoi parlez-vous chaque jour ? Quelles sont vos aspirations ? « Ils se taisaient, dit l’Evangile, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Les disciples avaient honte de dire à Jésus ce dont ils parlaient. La même discussion peut nous habiter, aujourd’hui également, comme elle a habité les disciples d’hier : Qui est le plus important ?

Jésus n’insiste pas sur la question, il ne les oblige pas à lui dire de quoi ils parlaient en chemin, mais la question demeure non seulement dans l’esprit, mais aussi dans le cœur des disciples.

Qui est le plus important ? Une question qui nous accompagnera tout au long de la vie et aux différentes étapes nous serons confrontés au défi d’y répondre. Nous ne pouvons pas échapper à cette question gravée dans le cœur. Je me rappelle avoir entendu plus d’une fois, au cours de réunions de famille demander aux enfants : qui aimes-tu le plus ? papa ou maman ? C’est comme vous demander : qui est le plus important pour vous ? Cette question est-elle seulement un simple jeu d’enfants ? L’histoire de l’humanité a été marquée par la manière de répondre à cette question.

Jésus ne craint pas ces questions des hommes ; il ne craint pas l’humanité ni les différentes recherches qu’elle effectue. Au contraire, il connaît les ‘‘recoins’’ du cœur humain, et en bon pédagogue, il est disposé à nous accompagner toujours. Fidèle à lui-même, il assume nos recherches, nos aspirations et leur donne un nouvel horizon. Fidèle à lui-même, il réussit à donner une réponse capable de proposer un nouveau défi, en déplaçant ‘‘les réponses attendues’’ ou ce qui apparemment relève de l’ordre établi. Fidèle à lui-même, Jésus propose toujours la logique de l’amour. Une logique capable d’être vécue par tous, parce qu’elle est pour tous.

Loin de tout type d’élitisme, l’horizon de Jésus n’est pas pour quelques privilégiés capables d’arriver ‘‘à la connaissance désirée’’ ou à divers niveaux de spiritualité. L’horizon de Jésus est toujours une offre pour la vie quotidienne également ici sur ‘‘notre île’’ ; une offre qui fait toujours que la vie quotidienne a une certaine saveur d’éternité.

Qui est le plus important ? Jésus est simple dans sa réponse : « Si quelqu’un veut être le premier – c’est-à-dire le plus important –, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». Si quelqu’un veut être grand, qu’il serve, qu’il ne se serve pas.

Et c’est le grand paradoxe de Jésus. Les disciples discutaient de celui qui occuperait la place la plus importante, celui qui serait choisi comme le privilégié – c’étaient les disciples, les plus proches de Jésus, et ils discutaient de cela ! –, qui serait exempté de la loi commune, de la norme générale, pour se faire remarquer dans une soif de supériorité sur les autres. Celui qui gravirait les échelons le plus rapidement pour occuper les charges qui confèreraient certains avantages.

Et Jésus perturbe leur logique en leur disant simplement que la vie authentique se vit à travers l’engagement concret pour le prochain. C’est-à-dire, en servant.

L’invitation au service possède une particularité à laquelle nous devons être attentifs. Servir signifie, en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple. Ce sont les visages souffrants, les personnes sans protection et angoissées que Jésus propose de regarder et invite concrètement à aimer. Amour qui se transforme en actions et en décisions. Amour qui se manifeste à travers les diverses tâches qu’en tant que citoyens, nous sommes invités à accomplir. Ce sont des personnes en chair et en os, avec leur vie, leur histoire et spécialement leur fragilité, que Jésus nous invite à défendre, à protéger et à servir. En effet, être chrétien implique servir la dignité de vos frères, lutter pour la dignité de vos frères et vivre pour la dignité de vos frères. C’est pourquoi le chrétien est toujours invité à laisser de côté, ses aspirations, ses envies, ses désirs de toute puissance, en voyant concrètement les plus fragiles.

Il y a un ‘‘service’’ qui sert les autres ; mais nous devons nous prémunir contre l’autre service, contre la tentation du ‘‘service’’ qui ‘‘se’’ sert des autres. Il y a une façon d’exercer le service qui vise comme intérêt le bénéfice des ‘‘miens’’, au nom de ce qui est ‘‘nôtre’’. Ce service laisse toujours les ‘‘tiens’’ dehors, en générant une dynamique d’exclusion.

Nous sommes tous appelés par vocation chrétienne au service qui sert et à nous aider mutuellement à ne pas tomber dans les tentations du ‘‘service qui se sert’’. Nous sommes tous invités, stimulés par Jésus, à nous prendre en charge les uns les autres par amour. Et cela, sans regarder à côté pour voir ce que le voisin fait ou a manqué de faire. Jésus dit : ‘‘Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous’’. Celui-là sera le premier. Il ne dit pas, si ton voisin veut être le premier, qu’il serve. Nous devons nous prémunir contre le regard accusateur et avoir le courage de croire dans le regard, qui transforme, auquel nous invite Jésus.

Cette prise en charge mutuelle par amour ne vise pas à asservir, au contraire, elle met au centre la question du frère : le service vise toujours le visage du frère, il touche sa chair, il sent sa proximité et même dans certains cas la ‘‘souffre’’ et cherche la promotion du frère. Voilà pourquoi, le service n’est jamais idéologique, puisqu’il ne sert pas des idées, mais des personnes.

Le saint peuple fidèle de Dieu en marche à Cuba est un peuple qui a le sens de la fête, de l’amitié, de la beauté. C’est un peuple qui marche, qui chante et loue. C’est un peuple qui a des blessures, comme tout peuple, mais qui sait ouvrir les bras, qui marche avec espérance, parce que sa vocation a de la grandeur. C’est de cette manière qu’ont semé vos héros. Aujourd’hui, je vous invite à préserver cette vocation, à préserver ces dons que Dieu vous a faits, mais spécialement je veux vous inviter à prendre soin de la fragilité de vos frères et à les servir. Ne les négligez pas pour des projets qui peuvent être séduisants, mais qui se désintéressent du visage de celui qui est à côté de vous. Nous connaissons, nous en sommes témoins de la force imparable de la  résurrection qui suscite partout des germes de ce monde nouveau (cf. Evangelii gaudium, n. 276.278).

N’oublions pas la Bonne Nouvelle d’aujourd’hui : l’importance d’un peuple, d’une nation, l’importance d’une personne se fonde toujours sur la façon dont elle sert la fragilité de ses frères. Et en cela, nous trouvons l’un des fruits d’une vraie humanité.

Car, chers frères et sœurs, ‘‘la vie de celui qui ne vit pas pour servir ne vaut pas la peine d’être vécue’’.

 


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