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PRÉFACE DU PAPE FRANÇOIS
AU LIVRE DU CARDINAL TARCISIO BERTONE
SUR LA DIPLOMATIE PONTIFICALE

DÉFI POUR L'AVENIR

 

Avec cet ouvrage, le cardinal Tarcisio Bertone offre à tous ceux qui sont engagés dans le service diplomatique du Saint-Siège, mais pas seulement à eux, une abondante série de réflexions sur les principales questions qui concernent la vie de la communauté des nations et qui touchent de près aux aspirations les plus profondes de la famille humaine : la paix, le développement, les droits humains, la liberté religieuse, l’intégration supranationale.

Pour la diplomatie pontificale, par ailleurs, il s’agit de précieuses indications qui permettent d’en saisir le caractère unique, à commencer par la figure du diplomate, prêtre et pasteur, appelé à une action qui, tout en conservant un profil institutionnel rigoureux, est imprégnée de souffle pastoral; une action qui a caractérisé le septennat de service du cardinal Bertone comme secrétaire d’Etat, au service généreux et fidèle du pontificat de Benoît XVI. Son service au sommet, tant dans la sphère la plus administrative de la Curie romaine, que dans celle des relations internationales du Saint-Siège, s’est opportunément prolongé pendant les premiers mois de mon pontificat. Son expérience de serviteur de l’Église, empreinte de calme et de maturité, m’a aidé moi aussi, appelé au Siège de Pierre d’un pays lointain, à nouer un ensemble de relations institutionnelles nécessaires pour un Pape.

La rencontre avec la figure du cardinal Tarcisio Bertone, connu pour son rôle important et sa personnalité joviale, a eu pour moi, par le passé, trois moments particuliers. Je me souviens pour commencer du premier abord à la Torre San Giovanni, au Vatican, le 11 janvier 2007, où j’ai été en visite avec la présidence de la conférence épiscopale argentine ; un échange très serein et à la fois très constructif sur les problèmes qui nous assaillaient à l’époque. Quand en 2007, il s’est rendu en Argentine comme légat pontifical pour la célébration de la béatification de Zeffirino Namuncurá, son caractère fraternel dans sa rencontre avec les évêques de la conférence épiscopale, l’affabilité toute salésienne dans son rapport avec les personnes après chaque célébration publique, avaient suscité mon intérêt et mon admiration. Le cardinal Bertone, dans ses entretiens avec les plus grandes instances politiques de la nation, avait souligné la contribution de l’Église dans la pacification et la réconciliation, nécessaires pour régénérer le tissu social déchiré par tant de situations qui avaient mis en danger la concorde nationale, et il avait ainsi apporté un précieux soutien à l’œuvre entreprise par l’épiscopat argentin pour reconstruire le tissu éthique, social et institutionnel du pays.

Quelques mois plus tôt, la même année, avait eu lieu au Brésil la ve conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes (9-14 mai 2007) à laquelle j’ai participé en qualité de primat de l’Église d’Argentine. J’y trouvai le cardinal Bertone, qui accompagnait le Pape Benoît XVI, intéressé non seulement par les aspects ecclésiaux importants, mais par la dimension sociale et culturelle, présentés dans le document final et confiés en premier lieu aux communautés ecclésiales latino-américaine.

Un intérêt qu’on retrouve en parcourant l’ensemble de ses interventions prononcées dans diverses régions géographiques, s’adressant aussi bien à l’intérieur de l’Église et de ses structures, qu’aux instances politiques des différents Etats et à des publics hétérogènes.

On perçoit immédiatement une attention tournée vers la crise mondiale et complexe que nous vivons actuellement, qui rend concrète l’idée d’un monde sans frontières. Mais la crise, si elle est une certitude pour tous, nous interroge sur les choix faits jusqu’ici et sur la direction que nous entendons suivre à l’avenir, en rappelant la responsabilité des personnes et des institutions pour éliminer les nombreuses barrières qui ont remplacé les frontières: inégalités, course aux armements, sous-développement, violation des droits fondamentaux, discriminations, entraves à la vie sociale, culturelle, religieuse.

Cela exige une réflexion réaliste non seulement sur notre petit monde quotidien, mais aussi sur la nature des liens qui unissent la communauté internationale et des tensions présentes en son sein. C’est ce que sait bien l’action de la diplomatie qui, à travers ses protagonistes, ses règles et ses méthodes, est un instrument concourant à l’édification du bien commun, appelé avant tout à lire les événements internationaux, qui est ensuite une manière d’interpréter la réalité. Cette réalité, c’est nous, la famille humaine en mouvement, comme une œuvre en perpétuelle construction qui inclut le lieu et le temps où s’incarne notre histoire de femmes et d’hommes, de communautés, de peuples. La diplomatie est donc un service, non une activité otage d’intérêts particuliers dont les guerres, les conflits civils, et les diverses formes de violence sont la conséquence logique, mais amère ; ni un instrument des exigences d’un petit nombre qui excluent les majorités, engendrent la pauvreté et l’exclusion, tolèrent tout type de corruption, produisent des privilèges et des injustices.

La crise profonde de convictions, de valeurs, d’idées, offre à l’activité diplomatique une nouvelle opportunité qui est dans le même temps un défi. Le défi de concourir à réaliser entre les différents peuples de nouvelles relations vraiment justes et solidaires permettant à toutes les nations et à toutes les personnes d’être respectées dans leur identité et dignité, et promues dans leur liberté. De cette manière, les différents pays auront la possibilité de projeter leur avenir, tout comme les personnes pourront choisir les moyens pour réaliser leurs aspirations de créatures faites à l’image du créateur.

Dans cette phase historique, la communauté internationale, ses règles et ses institutions se trouvent, en effet, obligées de choisir une direction qui reprenne leurs racines constitutives respectives et conduisent la famille humaine vers un avenir qui ne parle pas seulement le langage de la paix et du développement, mais soit capable dans les faits d’inclure chacun, en évitant que certains restent en marge. Cela signifie surmonter l’actuelle situation dans la vie des Etats et dans la vie internationale qui voit l’absence de convictions fortes et de programmes à long terme se conjuguer avec la profonde crise des valeurs qui depuis toujours fondent les liens sociaux.

Face à cette mondialisation négative qui est paralysante, la diplomatie est appelée à entreprendre une tâche de reconstruction, en redécouvrant sa dimension prophétique, en déterminant ce que nous pourrions appeler l’utopie du bien, et si nécessaire en la revendiquant. Il ne s’agit pas d’abandonner ce sain réalisme qui chez tout diplomate est une vertu et non une technique, mais de dépasser la domination du contingent, la limite d’une action pragmatique qui a souvent le goût du retour en arrière. Une manière de penser et d’agir qui, si elle prévaut, limite toute action sociale et politique et empêche la construction du bien commun.

La véritable utopie du bien, qui n’est pas une idéologie ni simplement de la philanthropie, à travers l’action diplomatique, peut exprimer et consolider cette fraternité présente dans les racines de la famille humaine et de là appelée à croître, à s’étendre pour porter ses fruits.

Une diplomatie renouvelée signifie des diplomates nouveaux, c’est-à-dire capables de rendre à la vie internationale le sens de la communauté en brisant la logique de l’individualisme, de la compétition déloyale, du désir de primer, en promouvant plutôt une éthique de la solidarité capable de remplacer celle de la puissance, désormais réduite à un modèle de pensée pour justifier la force. Cette même force qui contribue à rompre les liens sociaux et structurels entre les différents peuples, et dans le même temps à détruire les relations qui lient chacun de nous aux autres personnes au point de partager le même destin. La direction que prendront les relations internationales sera alors liée à l’image que nous avons de l’autre: personne, peuple, Etat.

Telle est la clé de la renaissance de cette unité entre les peuples qui fait siennes les différences sans ignorer les éléments historiques, politiques, religieux, biologiques, psychologiques et sociaux qui sont l’expression de la diversité. Même face à des limites, des conditionnements, des obstacles, il est possible de fondre et d’intégrer les comportements, les valeurs et les règles qui se sont progressivement constituées au fil du temps.

La perspective chrétienne sait évaluer autant ce qui est authentiquement humain que ce qui naît de la liberté de la personne, de son ouverture à la nouveauté, en définitive de son esprit qui unit la dimension humaine à la dimension transcendante. C’est là l’une des contributions que la diplomatie pontificale offre à l’humanité entière, en œuvrant pour faire renaître la dimension morale dans les relations internationales, celle qui permet à la famille humaine de vivre et se développer ensemble, sans devenir ennemis les uns des autres. Si l’homme manifeste son humanité dans la communication, dans la relation, dans l’amour envers ses semblables, les différentes nations peuvent se lier autour d’objectifs et de pratiques partagées, et engendrer ainsi une sensibilité commune bien enracinée. Plus encore, elles peuvent donner le jour à des institutions unitaires au sein de la communauté internationale, capables d’accomplir un service sans que cela nie l’identité, la dignité et la liberté responsable de tout pays. Le service de ces institutions sera de se pencher sur les besoins des différents peuples, en découvrant les capacités et les nécessités de l’autre. C’est le refus de l’indifférence ou d’une coopération internationale fruit de l’égoïsme utilitariste, pour faire en revanche à travers des organes communs quelque chose pour les autres.

Ainsi, le service n’est pas simplement un engagement éthique ou une forme de bénévolat, ni un objectif idéal, mais un choix fruit d’un lien social fondé sur cet amour capable de construire une nouvelle humanité, une nouvelle façon de vivre. Ce ne sera pas en faisant prévaloir la raison d’Etat ou l’individualisme que nous éliminerons les conflits ou que nous donnerons aux droits de la personne la juste place. Le droit le plus important d’un peuple et d’une personne ne consiste pas à ne pas être empêché de réaliser ses aspirations, mais dans le fait de les réaliser de façon effective et intégrale. Il ne suffit pas d’éviter l’injustice, si l’on ne promeut pas la justice. Il n’est pas suffisant de protéger les enfants de l’abandon, des abus et des mauvais traitements, si l’on n’éduque pas les jeunes à un amour plein et gratuit pour l’existence humaine dans ses différentes phases, si on ne donne pas aux familles toutes les ressources dont elles ont besoin pour accomplir leur mission incontournable, si on ne favorise pas dans toute la société une attitude d’accueil et d’amour pour la vie de tous et de chacun de ses membres.

Une communauté d’Etats mûre sera celle où la liberté de ses membres est pleinement responsable de la liberté des autres, sur la base de l’amour qui est solidarité à l’œuvre. Celle-ci, toutefois, n’est pas quelque chose qui croît spontanément, mais elle implique la nécessité d’investir travail, patience, engagement quotidien, sincérité, humilité, professionnalisme. N’est-ce pas la voie royale que la diplomatie est appelée à parcourir en ce XXIe siècle?

Nombreuses et stimulantes sont les suggestions de cet ouvrage, qui démontre combien le cardinal Bertone a su présenter l’annonce évangélique, les valeurs et les grandes instances de la doctrine de l’Église, en conformité avec les lignes portantes du magistère de Benoît XVI, avec cet équilibre et cette sobriété nécessaires pour favoriser une culture du dialogue, propre au Saint-Siège.

La mesure de la vie des serviteurs de l’Église n’est pas dictée par une manière d’«imprimer une nouvelle en grands caractères, pour que les gens pensent qu’elle est indiscutablement vraie» (Jorge Luis Borges), celle-ci est au contraire empreinte, bien que dans les limites inhérentes à la condition et aux possibilités de chacun, d’un dévouement silencieux et généreux au bien authentique du corps du Christ et au service durable à la cause de l’homme. C’est pourquoi l’histoire, dont la mesure est la vérité de la croix, rendra évidente l’intense action du cardinal Bertone, qui a démontré aussi avoir la trempe piémontaise du grand travailleur qui ne lésine pas sur ses efforts afin de promouvoir le bien de l’Église, préparé culturellement et intellectuellement et animé par une force intérieure sereine, qui rappelle les paroles de l’apôtre des nations: «Jamais nous ne nous glorifierons sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ: il est pour nous salut, vie et résurrection: c’est par lui que nous avons été sauvés et libérés» (cf. Ga 6, 14).

 



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