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DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS 
AUX SÉMINARISTES ET PRÊTRES ÉTUDIANT À ROME

Salle Paul VI
Lundi 24 octobre 2022

[Multimédia]

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Messieurs les Cardinaux, Messeigneurs les Évêques, chers prêtres !

Tout d'abord, je vous prie de m'excuser pour le retard : je m'excuse vraiment, mais le problème, c'est qu’aujourd’hui a été une grosse journée, avec la visite de deux Présidents de la République… D'où ce retard. C'est une heure où il n'est pas facile d'attendre car l’estomac commence à se faire entendre... Allons-y.

Quand je suis entré, j'ai regardé : c'est un monument de l'état clérical ! Parce que vous êtes vraiment si nombreux, tant de prêtres ensemble, c'est un plaisir. Alors, commençons.

Question

Saint-Père, je voudrais vous demander un conseil sur la direction spirituelle des jeunes prêtres. Il est facile pour les prêtres d’être des guides spirituels pour les laïcs, les religieuses et ceux qui sont encore en formation. En revanche, à mon avis, il est difficile pour les prêtres de rechercher une direction spirituelle chez d’autres confrères. Comment conseilleriez-vous aux prêtres, surtout aux jeunes, de chercher cette aide spirituelle pour leur formation ? Merci.

Pape François

Tout d’abord, je vous remercie de votre intérêt, vous avez préparé 205 questions ! S’il y a du temps, nous en ferons dix, car c’est un peu trop !

Merci Dominique. Le problème de la direction spirituelle – aujourd’hui on utilise pluitôt un terme moins directif “accompagnement” spirituel, qui me plaît –. La direction spirituelle, l’accompagnement spirituel, est-il obligatoire ? Non, il n’est pas obligatoire, mais si tu n’as pas quelqu’un pour t’aider à marcher, tu tomberas et tu feras du bruit. Parfois, il est important d’être accompagné par quelqu’un qui connaît ma vie, et il n’est pas nécessaire que ce soit le confesseur ; parfois ça marche, mais l’important est que ce soient deux rôles distincts. Tu vas chez le confesseur pour qu’il te pardonne les péchés et tu y vas en te préparant sur les péchés. Tu vas chez le directeur spirituel pour lui dire ce qui se passe dans ton cœur, les motions spirituelles, les joies, les colères, ce qui se passe en toi. Si tu n’entres en relation qu’avec le confesseur et non avec le directeur spirituel, tu ne sauras pas grandir, quelque chose ne va pas. Si tu n’entres en relation qu’avec un directeur spirituel, un accompagnateur, et que tu ne vas pas confesser tes péchés, cela ne va pas non plus. Ce sont deux rôles différents, et dans les écoles de spiritualité, par exemple les jésuites, saint Ignace dit qu’il vaut mieux les distinguer, que l’un soit le confesseur et l’autre le directeur spirituel. Parfois, c’est le même, mais ce sont deux choses différentes, qu’une seule personne fait peut-être, mais deux choses différentes.

Deuxièmement. La direction spirituelle n’est pas un charisme clérical, c’est un charisme baptismal. Les prêtres qui font la direction spirituelle ont le charisme non pas parce qu’ils sont prêtres, mais parce qu’ils sont laïcs, parce qu’ils sont baptisés. Je sais qu’il y a certains de la Curie, peut-être certains d’entre vous, qui sont dirigés par une Sœur qui est quelqu’un de bien, qui enseigne à la Grégorienne. C’est quelqu’un de bien et elle est directrice spirituelle. Vas-y, il n’y a pas de problème, c’est une femme de sagesse spirituelle qui sait diriger. Certains mouvements ont peut-être un laïc sage, une laïque sage. Je dis cela parce que ce n’est pas un charisme sacerdotal. Ce peut être un prêtre, mais ce n’est pas exclusivement des prêtres. Et pour être directeur spirituel, il faut une grande onction. C’est pourquoi, à ta question, je dirais : avant tout, être convaincu que je dois être toujours accompagné. Parce que la personne qui n’est pas accompagnée dans la vie produit des “champignons” dans l’âme, des champignons qui te harcèlent ensuite. Maladies, solitudes malsaines, beaucoup de mauvaises choses. J’ai besoin d’être accompagné. Clarifier les choses. Chercher les motions spirituelles, que quelqu’un m’aide à les comprendre, que veut le Seigneur avec cela, où est la tentation... J’ai trouvé certains étudiants en théologie qui ne savaient pas distinguer une grâce d’une tentation. Il faut que quelqu’un m’accompagne. Et ce n’est pas nécessaire de le faire toutes les semaines, non, tu vas chez le directeur spirituel une fois par mois, tous les deux mois, quand tu as de quoi pour discuter avec lui ou avec elle. Mais que ces choses soient claires.

Comment faire pour en trouver un ? Soyez prudents, tu vois quelqu’un qui t’attire par la façon dont il parle ; tu en as entendu parler par l’un, par l’autre... Cherche le directeur spirituel, mais selon ce que j’ai dit, je crois qu’il est important : distinguer du confesseur, ce sont deux rôles différents. C’est un charisme laïc, un prêtre, un évêque, une femme peut le faire, un laïc peut le faire. Puis trouver la personne qui t’inspire confiance et sympathie spirituelle. C’est très important, vous comprenez bien ce que cela signifie, cette harmonie aide beaucoup.

Je ne sais pas si j’ai répondu. C’est important. Que ce que je dis maintenant serve au moins pour qu’aucun de vous ne soit désormais sans direction spirituelle, sans accompagnement spirituel, car il ne grandira pas bien, je le dis par expérience. D’accord ? C’est clair pour tout le monde ? D’accord. Continuons.

Question

Saint-Père, pourriez-vous nous aider à comprendre comment nous pouvons être dans le ministère des ponts entre le monde de la foi et celui de la science ? Quel conseil concret pouvez-vous donner à nous qui, dans la pratique pastorale, avons la responsabilité de promouvoir un dialogue, et non une opposition entre ces deux domaines. Merci.

Pape François

Il est important de ne pas nier le rôle de la science, de la science qui avance, la science qui fait de la recherche, c’est important, c’est très important. Et les personnes qui étudient, même si elles ne sont pas des chercheurs de métier, toute personne, je pense aux étudiants universitaires, tous nous devons être ouverts aux interrogations qui viennent des étudiants. Tout d’abord, je dirais, écouter, être ouvert aux problématiques. Si tu suis sur le chemin de la problématique, tu te demandes : pourquoi ? Et tu te le demandes plusieurs fois. Et tu ne donnes pas une de ces réponses qu’on utilisait autrefois dans les livres faits pour répondre à toutes les difficultés contre l’Église, contre notre foi. Ce sont des réponses qui ne servent à rien, elles sont purement théoriques, et nous ne pouvons pas les proposer comme des réponses à la hauteur d’un universitaire qui étudie telle spécialité. Nous devons donner une réponse à la hauteur, digne de l’homme, et je crois que c’est très important : regarder avec des horizons larges, larges... Et on peut dire : “Je ne sais pas, mais toi, réfléchis-y... ; l’annonce de la foi, c’est ça, à propos de cela il y a telles horizons, regarde...”. Toujours ouvert, et le guider... Et tu peux aussi dire : “Je ne sais pas comment répondre, mais va trouver telle personne, cet homme, cette femme, ce prêtre, qui est spécialiste de cela et qui peut t’expliquer”. Ne ferme jamais la porte, ne ferme pas. Même s’ils viennent à toi avec des questions dont tu pressens qu’elles ne sont pas cohérentes avec la morale. Si tu peux répondre, réponds ; si tu ne peux pas répondre, cherche quelqu’un qui peut le faire et dis : “Tu peux parler de ça avec celui-là, avec cet autre”. Mais toujours ouvert, toujours ouvert. Parce qu’une attitude de défense ferme le dialogue, ferme la porte. Ouvert : “Oui, c’est intéressant...”.

Nous pouvons répondre à la plupart des choses parce que nous les connaissons. Lorsque les étudiants d’universités viennent avec un doute, je te donne un conseil : quand ils viennent avec un doute universitaire, par exemple, les étudiants – c’est peut-être le domaine de travail le plus important –, si c’est possible, répondre avec un autre doute, et ainsi tu es attentif et le même geste qu’il te fait, tu le lui fais afin qu’il ne se sente pas trop sûr. “Tu me demandes cela, bien, mais pour toi c’est comment ?”. Jésus faisait cela souvent, nous le voyons dans l’Évangile. À une question qui contenait un piège, Jésus répondait par une autre question et laissait l’interlocuteur au milieu du chemin intellectuel. Il est important de répondre ainsi, ou, si ça ne vient pas, d’orienter vers une personne qui peut répondre sur tel aspect scientifique, tel aspect qui va contre la foi et auquel peut-être je ne peux pas répondre. Dans la plupart des cas, je pense qu’on peut répondre. Mais – c’est toujours un conseil que je te donne – ne réponds pas “en l’air” : je te réponds, à toi qui me poses la question. Si tu t’engage avec cette question, moi je te dis ceci. Jésus le faisait. Par exemple, quand il guérissait le sabbat, il disait : “Et toi ? Tu ne détaches pas la vache pour lui donner à boire, le jour du sabbat ?” (cf. Lc 13, 15). Il lui faisait voir la contradiction dans la question elle-même. Quand ce sont des choses scientifiques sérieuses, qui vont au-delà de nos possibilités, dire ce que nous pouvons et ce que nous ne savons pas ; dire : “Sur cela, tu dois demander à quelqu’un qui comprend mieux cette science”. Être humble, avoir la foi n’est pas avoir la réponse sur tout. Cette méthode de défense de la foi ne fonctionne plus, c’est une méthode anachronique. Avoir la foi, avoir la grâce de croire en Jésus Christ, c’est être en chemin. Et que l’autre comprenne que tu es en chemin, que tu n’as pas toutes les réponses à toutes les questions. Il fut un temps où une théologie de défense était à la mode et il y avait des livres avec des questions pour défendre. Quand j’étais jeune, c’était la manière de se défendre. Ce sont des réponses, certaines bonnes, d’autres fermées qui ne sont pas bonnes pour le dialogue. “Tu as vu ? Je t’ai répondu, j’ai gagné”. Non, ça ne va pas. Le dialogue avec la science est toujours ouvert. Et dire : ceci je ne peux pas te l’expliquer, mais tu dois aller voir tels scientifiques, telles personnes qui t’aideront peut-être. Fuir l’opposition religion/science parce que c’est un mauvais esprit, ce n’est pas le véritable esprit du progrès humain. Le progrès humain fera avancer la science et aussi conserver la foi.

Question

Cher Pape François, en ce temps de préparation à Rome, comment pouvons-nous vivre notre ministère sans perdre cette “odeur des brebis” propre à notre ministère sacerdotal ? Merci.

Pape François

Que ce soit pour ceux d’entre vous qui étudient, ou pour ceux qui travaillent à la Curie ou qui ont un emploi, ce n’est pas une bonne chose pour la santé spirituelle de ne pas avoir de contact avec le peuple saint de Dieu, un contact presbytéral. C’est pourquoi je conseille, et même je dis aux Préfets de regarder si quelqu’un n’a pas ce ministère le samedi et le dimanche, dans une paroisse ou ailleurs, d’être attentif et d’inviter à le faire. Et s’il ne le fait pas, d’être attentif et d’en parler. Il est important de maintenir le contact avec les personnes, avec le peuple fidèle de Dieu, car il y a l’onction du peuple de Dieu : ce sont les brebis et, comme tu le dis, on peut perdre l’odeur des brebis. Si tu t’éloignes, tu seras un théoricien, un bon théologien, un bon philosophe, un bon curé qui fait tout, mais tu auras perdu la capacité de sentir l’odeur des brebis. Bien plus, ton âme aura perdu la capacité de se laisser réveiller par l’odeur des brebis. C’est pourquoi je crois qu’il est important – je dirais même nécessaire, voire obligatoire – que chacun d’entre vous ait au moins une expérience pastorale hebdomadaire. Dans une paroisse, dans un foyer pour garçons ou pour filles, ou dans une maison de retraite, peu importe, mais le contact avec le peuple de Dieu. Ne l’oubliez pas. Et je dis aux Préfets : voyez s’il y a quelqu’un qui ne le fait pas ; non pas pour le punir, mais pour lui parler, parce que c’est important, il est en train de perdre une grande force, une grande force de la vie sacerdotale.

J’aime parler aux prêtres des “quatre proximités”. Proximité avec Dieu : est-ce que tu pries ? Proximité avec l’évêque : comment est ta proximité avec l’évêque ? Es-tu de ceux qui font des commérages sur l’évêque ou des, « plus il est loin, mieux c’est » ? Ou es-tu proche de l’évêque et vas-tu discuter avec lui ? Troisièmement : la proximité entre vous. C’est intéressant, c’est l’une des choses que l’on retrouve à la fois dans les séminaires et dans les presbytères : le manque de véritable proximité fraternelle entre les prêtres. Oui, tous avec un grand sourire, mais ensuite ils s’en vont et s’écorchent les uns les autres dans de petits groupes. Ce n’est pas ça la proximité, c’est un manque de fraternité. Et la quatrième : la proximité avec le peuple de Dieu. S’il n’y a pas de proximité avec le peuple de Dieu, tu n’es pas un bon prêtre. Et cette proximité se maintient et s’exerce par le ministère – dans ce cas, hebdomadaire.

Question

Bonjour, Saint-Père. Le prêtre est un signe de l’amour de Dieu pour l’humanité. Mais, malheureusement, ce signe est souvent défiguré à cause de nos manquements. Sainteté, comment trouver un équilibre entre l’expérience de la miséricorde pour nos défaillances et l’effort pour vivre la vertu et parvenir à la sainteté ? Quels sont, selon vous, les aspects les plus urgents de la formation au séminaire qui doivent être mis en avant et pris en considération pour que les séminaristes d’aujourd'hui, mais aussi ceux de demain, puissent répondre à l’appel de Dieu ?

Pape François

Merci. Il y a deux choses différentes dans ce que tu as dit. Premièrement, tu as utilisé un mot que je n’aime pas – je ne t’en veux pas, tu l’as utilisé, mais je ne l’aime pas – : le mot « équilibre ». La vie n’est pas un équilibre, chers amis, elle n’est pas un équilibre. Et si tu trouves quelqu’un qui pense : « je suis en parfait équilibre », je lui dirais : tu n’es rien ! Parce que, l’équilibre, le fasse celui qui travaille dans un cirque. Celui qui fait ces choses-là, il fait l’équilibriste. Mais la vie est un déséquilibre constant, parce que la vie c’est marcher et rencontrer des difficultés, rencontrer de bonnes choses qui te font avancer, mais celles-ci te déséquilibrent toujours. Même, si tu as des choses à faire, c’est vrai, il faut un équilibre pour les faire, tu dois avoir un équilibre affectif, disons, qui t’équilibre d’un côté et de l’autre, et dire : « Je me sens de ce côté ». Mais l’équilibre, dans la vie, c’est aussi l’équilibre avec l’expérience du pardon et de la miséricorde pour le péché. Mais, Dieu merci, nous sommes pécheurs, mon cher, et Dieu merci, nous devons aller chaque semaine ou tous les quinze jours – je le fais tous les quinze jours – voir le confesseur pour qu’il nous pardonne. Et c’est un grand déséquilibre car il te conduit à l’humilité. La vie chrétienne c’est marcher sans cesse, tomber et se relever. Marcher un peu seul, un peu avec les autres : il n’y a pas de feuille de route. Bien sûr, tu mets le navigateur sur la voiture et tu pars. Il y a des conseils de prière, des choses qui t’aident à grandir. C’est ça le déséquilibre. Même, je dirais plutôt le contraire : comment vivre en déséquilibre, en déséquilibre quotidien. Ne pas avoir peur du déséquilibre : nous sommes humains. Et dans le déséquilibre il faut faire le discernement. Une personne « équilibrée » ne peut pas faire de discernement car elle n’a pas de motions de l’Esprit. Dans le déséquilibre il y a des motions de Dieu qui t’invitent à quelque chose, à la volonté de faire le bien, à te relever après être tombé dans le péché... Savoir vivre dans le déséquilibre : cela conduit à un équilibre différent. Je pourrai parler d’un équilibre dynamique, que je ne peux pas maintenir : c’est le Seigneur qui le maintient. Il te fait avancer, grâce l’onction de l’Esprit. Voilà pour l’équilibre et le déséquilibre.

Ensuite, la formation des séminaires. Je crois qu’ici le Cardinal [Préfet du Dicastère pour le Clergé] peut parler mieux que moi des séminaires car dans le Dicastère ils sont spécialistes. Par exemple, je commence en disant que le séminaire doit être composé d’un certain nombre de séminaristes qui forment ensemble « la communauté ». « Non. Nous, nous sommes cinq dans le diocèse » : ceci n’est pas un séminaire, c’est un mouvement paroissial. Au séminaire il doit y avoir un certain nombre – 25, 30 – un nombre modéré. S’ils sont 200, diviser en petites communautés : un nombre humain de groupes, de communautés, c’est important. Les séminaires de 300 - tous ensemble – ne fonctionnent plus ! Ils étaient l’expression d’une autre époque. Non, de petites communautés où l’on travaille, mais de petites communautés insérées au sein d’une plus grande.

La formation des séminaristes : les séminaristes doivent avoir une bonne formation spirituelle. « Je vais au séminaire, j’apprends la philosophie, la théologie… ». Oui, mais dans quel esprit ? Premièrement, une bonne formation spirituelle. Même durant la propédeutique. Le but de la propédeutique, aujourd’hui, est le suivant : habituer le séminariste au discernement spirituel, à la formation spirituelle, à la science, aux sciences de l’esprit. Deuxièmement, une formation intellectuelle sérieuse. Cela ne signifie pas qu’ils soient des maîtres des idées, non. Qu’ils sachent raisonner et qu’ils connaissent la théologie de base, avec cela je suis tranquille, et il faut quatre ans pour la théologie de base. Qu’ils sachent cela. Mais avec une belle formation spirituelle. Pour ça, il est parfois nécessaire de regrouper les petites communautés de séminaristes en une seule, afin de disposer de professeurs et de formateurs adéquats. J’ai dit spirituelle et intellectuelle. Maintenant : la formation communautaire. En petits groupes, oui, mais la vie communautaire, ils doivent apprendre à vivre en communauté, et ne pas tomber dans la critique de l’autre, dans des « partis » au sein du presbyterium, et ainsi de suite. Cela s’apprend dans un séminaire. Et puis, la vie apostolique. Chaque séminaire a sa propre pratique de la vie apostolique. Ils vont généralement en paroisse le week-end : c’est très important car la vie apostolique te donne aussi cette capacité, « l’odeur des brebis » dont tu as parlé. Elle te donne la capacité de te situer dans la réalité. Et peut-être il t’arrive d’aller avec un curé névrosé, dans une paroisse où il y a des problèmes, et tu verras comment gérer cela. Et les gens des paroisses où vous allez vous connaissent mieux – parfois – que les supérieurs. Mon expérience : quand je demandais des informations pour promouvoir quelqu’un aux ordres, soit au diaconat, soit au presbytérat, quand j’étais jésuite, je demandais aux frères coadjuteurs, à beaucoup, mais toujours aux frères coadjuteurs et aux gens de la paroisse ; et les meilleures informations ne venaient pas des professeurs : elles étaient bonnes, mais les meilleures venaient des frères coadjuteurs et des dames des paroisses. C’est drôle : elles ont le flair. Je me souviens d’un cas, un bon garçon intelligent qui devait être ordonné diacre, je m’en souviens bien. Une dame de la paroisse m’a dit : « Moi, je le ferais attendre un peu parce qu’il est bon, il a toutes les qualités, mais il y a quelque chose qui ne me convainc pas ». Bien. Et un frère coadjuteur m’a dit : « Père, laissez-le attendre un an, cela ne lui fera pas de mal ». Les autres, pleins d’encens. J’ai suivi cette voie, et au bout de quatre mois, il est parti de son plein gré : une crise avait éclaté. Ça c’est important. Le peuple de Dieu te comprend bien. Ainsi, la formation au séminaire comporte quatre éléments : la formation spirituelle doit être sérieuse, une direction spirituelle sérieuse ; une formation intellectuelle sérieuse, pas d’un manuel ; une formation communautaire entre les séminaristes ; et une formation apostolique.

Question

Saint Père, la génération actuelle de prêtres et de séminaristes est immergée dans le monde du numérique et des médias sociaux. Comment pouvons-nous apprendre à utiliser ces outils comme des opportunités pour partager la joie d’être chrétien, sans oublier notre identité ou être trop exposés et arrogants ? Merci.

Pape François

Je crois que ces choses doivent être utilisées, parce que c’est un progrès de la science, elles rendent service pour pouvoir avancer dans la vie. Je ne les utilise pas parce que je suis arrivé trop tard. Lorsque j’ai été ordonné évêque, il y a 30 ans, on m’en a donné un, un téléphone portable, qui était comme une chaussure, de cette taille. J’ai dit : « Non, je n’arrive pas à me servir de ça ». Et finalement, j’ai dit : « Je vais passer un coup de fil ». J’ai appelé ma sœur, je l’ai saluée, puis je l’ai rendu. « Offre-moi autre chose ». Je n’ai pas réussi à l’utiliser. Parce que ma psychologie était défaillante ou que j’étais paresseux, je ne sais pas. La seule chose que j’ai réussi à utiliser était une Olivetti dotée d’une mémoire d’une seule ligne, que j’ai achetée quand j’étais en Allemagne dans un Angebot, 59 marks, rien du tout. Et elle m’a aidé, et elle est restée à Buenos Aires, je l’ai utilisée jusqu’à maintenant. Ce n’est pas mon monde. Mais tu dois les utiliser, et tu dois ne les utiliser que pour ceci : comme une aide pour avancer, pour communiquer : ça c’est bien. Mais je ne peux pas négliger de parler ici des dangers, le danger de regarder les nouvelles ici et là, en naviguant toute la journée ; ou bien regarder ce programme qui m’intéresse ou cet autre, parce que tu as tout à portée de main... ou bien mettre cette musique qui m’intéresse et qui ne me laisse pas travailler... Il faut savoir bien l’utiliser. Et à ce sujet j’ajoute une autre chose, que vous connaissez bien : la pornographie numérique. Je vais le dire clairement. Je ne vous dirai pas : « Levez la main si vous avez eu au moins une expérience de ce genre », je ne le dirai pas. Mais que chacun d’entre vous réfléchisse à la question de savoir s’il a eu l’expérience ou la tentation de la pornographie numérique. C’est un vice qu’ont beaucoup de personnes, beaucoup de laïcs, mais aussi des prêtres et des religieuses. Le diable entre par là. Et je ne parle pas seulement de la pornographie criminelle, comme la pédopornographie, où l’on voit des cas réels d’abus : c’est déjà de la dégénérescence. Mais de la pornographie un peu « normale ». Chers frères, prenez garde à cela. Le cœur pur, celui qui reçoit Jésus chaque jour, ne peut pas recevoir ces informations pornographiques qui, aujourd’hui, sont à l’ordre du jour. Et si tu peux l’effacer de ton téléphone portable, efface-le, ainsi tu n’auras pas de tentation à portée de la main. Et si tu ne peux pas le supprimer, défends-toi bien pour ne pas te retrouver dans cette situation. Je vous le dis, c’est une chose qui affaiblit l’âme. Elle affaiblit l’âme. Le diable entre par-là : il affaiblit le cœur sacerdotal. Excusez-moi si j’entre dans ces détails sur la pornographie, mais c’est une réalité : une réalité qui touche les prêtres, les séminaristes, les religieuses, les âmes consacrées. Avez-vous compris ? Très bien. C’est important.

Question

Pape François, pendant ces années à Rome, avec un de mes frères, nous avons suivi un groupe de jeunes après la confirmation dans une paroisse près d’ici. Nous venons tous les deux d’autres pays. Un jour, un jeune m’a dit : « Mais tu t’es rendu compte qu’il – en parlant de l’autre frère – parle mieux l’italien que toi ? Toi, par contre, tu utilises mieux tes mains et tes gestes ». Avec cette remarque d’un jeune garçon, j’ai compris que dans l’évangélisation, il est aussi important de bien parler que d’accompagner le discours de ses mains. Les mots comptent autant que les gestes, et peut-être que pour les Italiens, ce sont les gestes qui accompagnent les paroles. Dans la formation vers le sacerdoce, on nous enseigne beaucoup comment parler, comment bien utiliser les mots et la parole, faire un discours philosophique cohérent, interpréter l’Écriture, faire un beau sermon dans l’église. Toutefois, Saint-Père, vous nous avez montré l’importance des gestes, des œuvres, de la tendresse concrète, et combien les gestes sont puissants, combien nos gestes sont éloquents. Je vois comment vous embrassez les personnes qui souffrent, et combien je voudrais le faire aussi. Je vois comme vous embrassez les malades, et combien je voudrais le faire aussi. Je vois comment vous touchez les nécessiteux, et combien je voudrais le faire aussi. Je sais qu’on n’apprend pas ces gestes du jour au lendemain, et je sais que je ne serai jamais un prêtre qui prêche par l’exemple si je n’apprends pas le langage des gestes dès maintenant. Comment avez-vous appris ces gestes de miséricorde ? Comment pouvons-nous arriver, nous aussi au séminaire, apprendre ce langage si important?

Pape François

Merci. Où ai-je appris les gestes... Les gestes, la vie les enseigne. Par exemple, une chose que j’ai apprise de l’expérience personnelle est que lorsque tu vas voir un malade, qui est mal, tu ne dois pas trop parler. Prends sa main, regarde-le dans les yeux, dis deux mots et reste comme ça. Dans l’opération qu’on m’a faite, où l’on m’a enlevé une partie du poumon quand j’avais 21 ans, tous mes amis, mes tantes venaient, tous pour parler : "Vas, tu te reprendras vite, tu parleras, tu pourras jouer de nouveau...". ça a me plaisait, mais ça me saoulait. Un jour est venue la sœur qui m’avait préparé pour la première Communion, sœur Dolores, bonne vieille, elle m’a pris la main, elle m’a regardé dans les yeux et me dit : "Tu imites Jésus", et elle n’a rien dit de plus. Elle m’a consolé. S’il vous plaît, quand vous allez voir un malade, ne remplissez pas avec des explications et des promesses d’avenir. Le geste de la proximité est plus parlant par la présence que par les paroles.

Un geste, je t’ai montré. Les gestes, on apprend ; les gestes de la tendresse tu les apprendras avec les personnes âgées, en allant chez elles. Le premier jour, tu les salueras comme ça, à distance. Après deux, trois fois que tu iras, tu les caresseras. Laisse-toi t’exprimer. Fais que ton expression soit totale. Même dans la prédication. Une fois j’ai appelé une nièce : "Comment vas-tu ?" - C’était un dimanche, parfois j’appelle ma sœur - "Comment vas-tu ?". "Bien, bien, mais un peu ennuyée parce que nous sommes allés avec mon mari et les enfants à la messe dans telle paroisse peu habituelle, et j’ai entendu une belle explication philosophique de 40 minutes, mais de la Parole de Dieu rien!" Si tu n’es pas humain avec des gestes, l’esprit se raidit aussi et dans la prédication tu diras des choses abstraites que personne ne comprend, et on aura la tentation de sortir pour fumer une cigarette et revenir, comme ça se fait... Il y a trois langages qui te font voir la maturité d’une personne : le langage de la tête, le langage du cœur et le langage des mains. Et nous devons apprendre à nous exprimer dans ces trois langages : que je pense ce que je ressens et ce que je fais, que je sente ce que je pense et ce que je fais, que je fasse ce que je sens et ce que je pense. Ici, j’utilise le mot équilibre : un équilibre entre ces choses.

Quand je vois des enfants malades - "combien souffrent les enfants ", disait Dostoïevski - les jeunes malades, là, les caresser... Quelqu’un peut t’accuser d’être pédophile, mais non, ne te préoccupe pas de cette possible accusation. Comme les personnes âgées qui ont besoin de caresses... Je me souviens que j’allais fréquemment à Buenos Aires dans les maisons de retraite, et parfois je célébrais la Messe. Les vieillards sont géniaux parce qu’ils te posent les questions les plus exigeantes... Et à la messe je disais : "Lequel d’entre vous fait la communion?" Et je passais, parce que souvent ils ne pouvaient pas marcher, ils étaient vieux, ils allaient avec une canne. Et j’avançais : "Celui qui veut communiquer lève la main". Tout le monde levait la main... Je donne la communion à une dame, puis elle me prend la main : "Merci, Père, je suis juive". "Mais ce que je t’ai donné aussi est juif". Les personnes âgées veulent des caresses, ils veulent que tu les écoutes, ils veulent que tu les fasses parler de leur époque, et tu apprendras beaucoup.

La tendresse. Ici nous tombons dans le style de Dieu. Le style de Dieu c’est la proximité. Il le dit lui-même dans le Deutéronome : "Pense, quel peuple a ses dieux aussi proches que toi tu m’as ?" (cf. chap. 4). La proximité est le style de Dieu. Il s’est fait proche dans l’incarnation du Christ. Il est proche de nous. Toujours la proximité. Mais une proximité qui a de la compassion, parce qu’elle pardonne toujours, et avec tendresse. Un bon prêtre est proche, compatissant et tendre. Il est certainement plus agréable de caresser une belle fille qu’une vieille dame - soyez prudents à ce sujet ! - mais la tendresse grandit et s’exprime mieux dans les contraires, tant chez les enfants, avec les petits enfants qui t’appellent, qu’avec les personnes âgées, mais... ça s’apprend...

Une fois, un de mes professeurs de philosophie - il était un bon père spirituel, il a publié beaucoup de livres aussi sur les exercices qui sont traduits en italien, le Père Fiorito - un jour il a donné une conférence sur les comportements, les fondements philosophiques, mais il a immédiatement glissé sur la spiritualité. Et l’une de ses questions, je la pose à vous tous, séminaristes, théologiens : est-ce que vous jouez avec les enfants ? Savez-vous jouer avec les enfants ? Il posait toujours cette question aux parents : "Toi, papa, quand tu rentres du travail, ou toi, maman, est-ce que tu joues avec tes enfants ?". La tendresse s’apprend avec les enfants et les personnes âgées. Et l’habitude qu’il y a d’éloigner les vieux parce qu’ils dérangent, cela nous éloigne de l’une des sources de tendresse. Le style de Dieu, ne l’oublie pas, est toujours la proximité, la compassion et la tendresse. Et si tu es proche, avec compassion et tendresse, tu es sur la bonne voie. La tendresse n’est pas de "faire le bon". Parfois, en faisant le bon, on peut glisser et faire le stupide. Non. Tendresse c’est ce que j’ai dit.

Question

Bonjour, Saint-Père. Je voudrais poser ma question en partant de deux événements importants de l’Église universelle : les 400 ans de Propaganda fide au service de la mission et de l’évangélisation, et le Synode des Évêques avec le thème "Communion, participation et mission". Comment nous, jeunes séminaristes, pouvons-nous sortir de notre "confort" pour évangéliser les autres jeunes? Quels sont les défis pour nous les jeunes qui voulons devenir prêtres dans le monde d’aujourd’hui? Merci.

Pape François

Il n’y a pas de méthode pour cela. Tu utilises un mot très clérical, "confort". C’est-à-dire, ne pas déranger le prêtre, le prêtre est occupé. Le confort conduit souvent les prêtres à chercher leur tranquillité : je reçois de telle heure à telle heure... Une fois, un bon curé d’un quartier me disait qu’il voulait murer une fenêtre parce que, à toute heure, les gens venaient et frappaient à la fenêtre parce qu’ils avaient besoin de ceci ou de cela, d’une prière, d’une Messe... Et j’ai dit : "Et tu as muré la fenêtre?" Il a dit : "Non, je ne peux pas, Père, sans les gens, je ne suis pas prêtre". Belle réponse que celle-ci! Le confort. Il y a une figure qui m’a toujours frappé, le prêtre confortable, un peu le "monsieur l’abbé" des cours françaises, un fonctionnaire - vous qui travaillez à la Curie, soyez attentifs! - le prêtre fonctionnaire. Le prêtre fonctionnaire vit le sacerdoce comme s’il s’agissait d’un emploi. Il est confortable, il a ses horaires, c’est à moi de faire ceci, cela non... Et ainsi, en grandissant, il se transforme en "vieux garçon", avec ses habitudes maniaques, c’est un névrosé au quotidien. Fais attention, fais attention à cela. Ne cherche pas ton confort; le sacerdoce est un service sacré de Dieu, le service dont l’Eucharistie est le plus haut degré, c’est un service à la communauté. Si tu ne le sens pas ainsi, parle avec l’évêque, peut-être seras-tu un bon père de famille, mais s’il vous plaît ne soyez pas des fonctionnaires. Ça, c’est le confort dont tu parles.

Il y a une autre chose qui accompagne ce confort, c’est la dimension "arriviste", les prêtres arrivistes qui font carrière. Je crois qu’on les voit... à la curie, non, ça n’arrive pas ! Mais ailleurs ça arrive... Quand tu es sur le point de faire un changement, là ils arrivent, allez, allez... l’arriviste. S’il te plaît arrêtez, arrêtez. Parce que l’arriviste à la fin est un traître, il n’est pas un serviteur. Il cherche son propre avantage et ensuite ne fait rien pour les autres. J’avais une grand-mère qui aimait nous faire des "catéchèses". Elle était une migrante et les migrants, avec le temps, les migrants italiens, venaient en Amérique et faisaient leur maison et l’éducation des enfants... Et la grand-mère nous enseignait : "Dans la vie, vous devez progresser", c’est-à-dire immédiatement : les briques, la terre, la maison, progresser, c’est-à-dire se faire une situation, une famille ; et elle nous enseignait cela. Mais faites attention de ne pas confondre le fait de progresser avec l’arrivisme, car l’arriviste c’est celui qui monte, monte, monte et quand il est là-haut, il montre son... La grand-mère disait le mot! Il te le montre, il est comme ça, il te le montre. La seule chose que les arrivistes font c’est se ridiculiser, ils sont ridicules. Cela m’a fait du bien dans la vie. Au contraire, lorsque viennent les informations pour les évêques - vous êtes dans la Congrégation des évêques et vous savez comment ça se passe -, tout de suite les informations des camarades : celui-ci c’est un arriviste, il cherche la place... Faites attention, au confort et à l’arrivisme, faire carrière. Quand j’étais jeune, on l’utilisait en espagnol, et je ne sais pas si on l’utilise en italien : celui-ci a choisi la "carrière" sacerdotale. La carrière de médecin, d’avocat... Aujourd’hui, on ne l’utilise plus, Dieu merci, mais l’arriviste fait carrière, faites attention, faites attention. Et si vous avez un tel camarade, aidez-le à s’arrêter, à ne pas vouloir arriver, car à la fin il montrera le pire de lui-même. Et l’arriviste n’est jamais satisfait.

Communion, participation et mission. Oui, si tu es en communion, tu penses aux autres, si tu participes, tu partages avec les autres, si tu es en mission, tu penses aux autres. Toujours le service, servir. Le service, même le service liturgique, est un service. Servir les autres, non pas son propre confort. Je crois que là-dessus il ne me vient rien d’autre. Vous avez clairement compris le danger qu’il y a de chercher son propre plaisir et sa propre tranquillité, et le danger de vouloir faire carrière. Et malheureusement dans la vie il y a beaucoup de carriéristes. Beaucoup. S’il vous plaît, si l’un d’entre vous a cette tentation, arrêtez-vous, demandez conseil pour arrêter.

Question

Bonjour, Saint-Père. Merci beaucoup, Sainteté, pour cette merveilleuse occasion d'être avec vous. Le cheminement vocationnel d'un séminariste consiste toujours dans le discernement de sa vocation. A partir de mon expérience et de ce que je sais de l'expérience des autres, parfois – ou plus souvent – on se rend compte de ses propres faiblesses, on éprouve la peur de ne pas pouvoir satisfaire aux exigences de la vocation sacerdotale, la peur de ne pas être heureux dans le ministère. Ou encore, on se sent attiré non pas d'abord par l'amour de Dieu, mais par d'autres détails moins importants qui caractérisent le sacerdoce, et ainsi de suite. Cependant, en même temps, on sent fortement l'appel de Dieu en soi et aussi grâce aux circonstances qui ont caractérisé son cheminement. Dans ce type de situation, Sainteté, quelle pourrait être la bonne voie à suivre pour un séminariste dans son processus de discernement ? Plus généralement : en quoi consiste un juste discernement ? Merci beaucoup, Saint-Père.

Pape François

Merci. Le bon discernement - je te le dis avant tout - ne consiste pas en un équilibre, non ce n'est pas cela. C'est le rôle de la balance. Le discernement est toujours " déséquilibré ", pardon, la situation sur laquelle tu dois discerner est déséquilibrée, parce que tu as des émotions de ce côté, des émotions ici, des émotions là... Le bon discernement consiste à chercher comment ce déséquilibre trouve son chemin vers Dieu - et non pas " trouve l'équilibre " - parce qu'il se résout toujours, le déséquilibre, sur un plan supérieur, non sur le même plan. Et ceci est une grâce de la prière, une grâce de l'expérience spirituelle. Tu vas devant le Seigneur avec un déséquilibre, aidé par un frère si tu veux, et la prière, la recherche de la volonté de Dieu t'amène à résoudre le déséquilibre, mais sur un autre plan. Il te fait toujours avancer, il te fait sortir de la contradiction du déséquilibre - qui n'est pas une contradiction mathématique, mais une contradiction humaine - et il te fait faire un pas en avant. Un déséquilibre n'est pas résolu par une seule partie, non. Tous deux évoluent vers une nouvelle situation. Et c'est la grâce de l'accompagnement spirituel qui nous aide à trouver cette voie pour résoudre les déséquilibres.

"Dans ce genre de situation, quel pourrait être le bon chemin à suivre pour un séminariste dans son processus de discernement ?". Ce que j'ai dit à propos du discernement. Prière et dialogue avec la personne qui t’accompagne, qu'il s'agisse d'un prêtre, d'un ami, d'une religieuse, d'un laïc, quel qu'il soit. Prière et dialogue.

"Plus généralement, en quoi consiste le bon discernement ?" Le bon discernement ne consiste pas dans le fait que le résultat soit un équilibre. Le bon discernement, tu le vois après. La décision est harmonieuse, et non "équilibrée". L'équilibre est une chose, l'harmonie en est une autre. Ce sont des choses différentes. L'équilibre est une chose mathématique, physique ; l'harmonie est une question de beauté, si l'on peut dire. L'équilibre consiste à comparer les parties et à trouver un compromis ; l'harmonie, dans le discernement, est le don de l'Esprit Saint : le seul qui puisse faire l'harmonie est l'Esprit Saint. C'est un don. Saint Basile a défini l'Esprit Saint "ipse harmonia est". Il est l'harmonie. Déjà nous entrons dans le discernement avec l'Esprit Saint en nous. Tu ne peux pas faire un discernement chrétien sans l'Esprit Saint. Et c'est pourquoi le déséquilibre entre dans la prière, entre dans la voie du Saint-Esprit, et Lui t’amène à une nouvelle situation harmonieuse. Et puis on peut entrer dans une autre "désharmonie", et ce sera l'Esprit à t’emmener plus loin. Ce n'est pas une chose physique, ce n'est pas une chose intellectuelle, ce n'est pas une chose sentimentale : c'est la grâce de recevoir l'Esprit Saint, qui est harmonieux. Et avec la prière nous arrivons à cette grâce de comprendre l'harmonie de l'Esprit. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à cette question. Dis-moi : tu as compris ? Il ne s'agit pas, dans le discernement, d'équilibrer comme sur une balance, non : de prier, de progresser et de laisser l'Esprit, avec les motions intérieures, aller de l'avant.

Et puis, quel est le résultat du bon discernement ? La consolation spirituelle. L'Esprit Saint, lorsqu'il te donne l'harmonie, te console. Au contraire, lorsque tu es avec un problème, tu n’es pas dans la consolation, tu es dans la désolation. Nous devons apprendre à utiliser, dans notre vie, les motions de l'Esprit, la consolation et la désolation : ceci me fait du bien, ceci me rend heureux, ceci m'enlève la paix... Qu'est-ce que le Seigneur fait dans le cœur et qu'est-ce que le diable fait. Parce que le diable existe ! Saint Pierre dit qu'il tourne en rond, tourne, tourne, pour rechercher qui dévorer. Il est notre danger. Mais l'Esprit est notre guide. Et voici le chemin : suivre l’Esprit Saint.

[S'adressant au cardinal Lazare You Heung-sik] Je voudrais répondre encore à la dixième question, car elle émane d'un Ukrainien, et sa patrie souffre.

Question

Votre Sainteté, Pape François, oui, je suis un prêtre ukrainien. Aujourd'hui, nous voyons comment dans le monde contemporain il y a tant de guerres et de conflits armés, en particulier la guerre en Ukraine. Je voudrais vous demander : quel est le rôle que doit jouer l'Église catholique par rapport aux territoires touchés par les guerres, et quelle serait la tâche des prêtres dans ces régions ? Merci

Pape François

Merci. L'Église catholique - l'Église, la Sainte Mère Église - est mère, mère de tous les peuples. Et une mère, lorsque ses enfants sont en conflit, souffre. L'Église doit souffrir devant les guerres, car les guerres sont la destruction des enfants. Tout comme une mère souffre lorsque ses enfants ne s'entendent pas ou se disputent et ne se parlent pas - les petites guerres domestiques - l'Église, la Mère Église devant une guerre comme celle de ton pays, doit souffrir. Elle doit souffrir, pleurer, prier. Elle doit aider les personnes qui en subissent les graves conséquences, qui perdent leur maison ou sont blessées… les morts... L'Église est une mère et son premier rôle est d'abord la proximité avec les personnes qui souffrent. Elle est mère, elle est comme une mère.

Et puis, elle est aussi une mère créatrice de paix : elle essaie de faire la paix à certains moments... Dans ce cas, ce n'est pas très facile, mais le cœur ouvert de la Mère Église... Vous, les chrétiens, ne prenez pas parti dans cette affaire. Il est vrai qu'il y a la patrie, c'est vrai, nous devons la défendre. Mais allez plus loin, au-delà : un amour plus universel. Et la Mère Église doit être proche de tous, de toutes les victimes. Mieux encore, prier pour le péché des agresseurs, pour celui qui vient ici pour ruiner ma patrie, pour tuer mes proches : est-ce que je prie pour cela ? Et cela c’est une attitude chrétienne. Vous souffrez beaucoup, ton peuple, je le sais, je suis proche. Mais priez pour les agresseurs, car ils sont des victimes comme vous. On ne voit pas les blessures qu'ils ont dans l’âme, mais priez, priez pour que le Seigneur les convertisse et que la paix vienne. Ça c'est important.

Question

Bonjour. Saint Père, bonjour et merci. La Ratio fundamentalis nous rappelle que le premier domaine dans lequel se développe la formation permanente est la fraternité presbytérale. En effet, un presbyterium uni dans lequel les prêtres et leur évêque se soutiennent mutuellement, célèbrent les joies et souffrent des difficultés de l'autre, contribuerait à faire du presbyterium un espace de formation et de communion. Quels conseils pouvez-vous nous donner, à partir de votre expérience de pasteur, pour créer des relations plus fraternelles dans le presbyterium qui nous puissent nous aider à faire face aux défis du temps présent ? Merci, Votre Sainteté.

Pape François

Il y a beaucoup de choses. Tout d'abord, la proximité et le fait de se parler, non de prendre de la distance. Aux évêques, je dis : les prêtres sont votre premier prochain, soyez proches des prêtres. Je leur dis : "J'entends un prêtre qui me dit : j'ai appelé l'évêché pour parler à l'évêque et le secrétaire m'a dit que ce mois-ci est complet, peut-être le mois prochain... " ; je pense que cet évêque ruine ses prêtres.

Proximité. Par exemple, l'archevêque de Naples à peine nommé, qu'a-t-il fait ? Il a donné à tous les prêtres - les napolitains sont plus de mille - son numéro de téléphone portable. "Est-ce qu'ils te harcèlent ?" - "Non, non, mais quand ils en ont besoin, ils m'appellent, directement". Cette proximité s'applique au prêtre avec l'évêque mais aussi au prêtre avec les autres.

Je ne sais pas si cela arrive ici, mais, dans mon pays, il y a des groupes de prêtres qui parlent mal des autres : il y a ceux de droite, ceux de gauche, ceux d'ici et ceux de là-bas... ça c'est du poison. C'est un poison, un vers qui tue le corps presbytéral. Unité entre les prêtres. Et si tu n'as pas les tripes pour dire les choses en face de quelqu’un, tu te le ravales. Mais ne vas pas te couper l'appétit en critiquant ton frère prêtre, non. Ce n'est pas une manière virile de faire. Un homme va, et dit les choses comme elles sont. Avec charité et avec amour. Et s'il ne peut pas les dire parce que l'autre est un peu violent, qu'il le dise à l'évêque qui est le père de tous. Mais ne le dis pas à tous les autres. Il faut cette proximité pour éviter que le corps sacerdotal ne finisse mal. Et l'évêque, soutenez-le à votre tour. Parfois, l'évêque est un peu "maniaque", il a ses petites manies, car les évêques sont aussi des hommes !

Et je termine avec cec sur la façon de faire avec l'évêque, avec une histoire que racontait justement par ma grand-mère. Il y avait une famille très belle, mais le grand-père qui habitait chez eux était vieux, et il a commencé à baver en mangeant et à se salir. Et un jour, le père dit à la famille : « A partir de demain, le grand-père mangera dans la cuisine. J'ai fait une belle table, le grand-père ira là, et nous de cette façon nous pourrons inviter des gens et lui sera à part ». Quelques jours passent et papa rentre du travail et voit son fils de six ans travailler avec des clous, du bois...

-"Qu'est-ce que tu fais ?".

- "Une table basse, papa !"

- "Pourquoi ?"

 - "Pour toi, pour quand tu seras vieux !"

Les vieux, comme ça, on les met à part. S’il vous plait, essayez d'apprendre à connaître l'évêque en tant que papa. Et si vous avez l'occasion de lui dire ses défauts, faites-le, comme à un papa. Il est le père, non pas un ennemi ni un chef d'entreprise.

Merci beaucoup, chers amis ! Maintenant, prions la Vierge Marie de nous aider tous.

[Angelus Domini...]

[Bénédiction]

Et peut-être que la prochaine fois, nous verrons les 198 questions qui restent.



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