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MESSAGE
DE SA SAINTETÉ
JEAN-PAUL II
POUR LA CÉLÉBRATION DE LA
JOURNÉE MONDIALE
DE LA PAIX

1er janvier 1987

DÉVELOPPEMENT ET SOLIDARITÉ :
DEUX CLÉS POUR LA PAIX

1. Appel à tous ...

Mon prédécesseur le Pape Paul VI avait publié un appel à tous les hommes de bonne volonté, les invitant à célébrer, le premier jour de chaque année civile, une Journée mondiale de la Paix, comme signe d'espérance et promesse de voir la paix "dominer le déroulement de l'histoire à venir" (AAS 59, 1967, p. 1098 ). Vingt ans après, je répète cet appel, en m'adressant à chacun des membres de la famille humaine. Je vous invite à vous joindre à moi pour réfléchir sur la paix et pour célébrer la paix. Célébrer la paix au milieu de difficultés telles que celles d'aujourd'hui, c'est affirmer notre confiance en l'humanité.

A cause de cette confiance, j'adresse mon appel à chacun, assuré que nous pouvons apprendre ensemble à célébrer dans la paix ce que désirent universellement les peuples dans le monde entier. Nous tous qui partageons ce désir, nous pouvons ainsi rassembler nos réflexions et nos efforts dans l'unité pour faire de la paix un objectif accessible à tous en faveur de tous.

Le thème que j'ai choisi pour le Message de cette année s'inspire de cette vérité essentielle sur l'humanité : nous formons une seule famille humaine. Du seul fait que nous sommes nés dans ce monde, nous partageons un même héritage et nous formons une unique lignée avec tout autre être humain. Cette unité s'exprime dans toute la richesse et toute la diversité de la famille humaine: dans les races, les cultures, les langues et les histoires différentes. Et nous sommes appelés à reconnaître la solidarité fondamentale de la famille humaine comme la condition essentielle de notre vie commune sur cette terre.

1987 marque aussi le vingtième anniversaire de la publication de Populorum progressio. Cette célèbre encyclique de Paul VI était un appel solennel à une action concertée pour le développement intégral des peuples (cf. Populorum progressio, n. 5). Le mot de Paul VI, " le développement est le nouveau nom de la paix ", donne une clé pour notre recherche de la paix. Existe-t-il une véritable paix lorsque des hommes, des femmes et des enfants ne peuvent vivre dans toute leur dignité humaine ? Peut-il y avoir une paix durable dans un monde régi par des relations sociales, économiques et politiques qui favorisent une nation ou un groupe au détriment d'un autre ? Une paix authentique peut-elle être établie sans la reconnaissance effective de cette vérité admirable que nous sommes tous égaux en dignité, égaux parce que nous avons été faits à l'image de Dieu qui est notre Père ?

2. ... pour réfléchir sur la solidarité ...

Ce Message pour la vingtième Journée mondiale de la Paix se rattache étroitement au Message que j'ai adressé au monde l'an dernier sur le thème : " Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, une seule paix ". Dans ce Message, je disais: " ... l'unité de la famille humaine a des répercussions très réelles sur notre vie et sur notre engagement en faveur de la paix ... Cela veut dire que nous nous engageons en faveur d'une solidarité nouvelle, la solidarité de la famille humaine ..., de relations nouvelles, de la solidarité sociale de tous " (n. 4).

Reconnaître la solidarité sociale de la famille humaine entraîne la responsabilité de construire à partir de ce qui nous unit. Cela veut dire promouvoir effectivement et sans exception l'égale dignité de tous en tant qu'êtres humains jouissant de certains droits fondamentaux et inaliénables. Cela concerne tous les aspects de notre vie individuelle, aussi bien que de notre vie dans la famille, dans la communauté où nous vivons et dans le monde. Une fois que nous avons vraiment compris que nous sommes frères et sœurs dans une commune humanité, nous pouvons, à la lumière de la solidarité qui nous unit, déterminer nos attitudes envers la vie. C'est particulièrement vrai de tout ce qui se rapporte au projet universel fondamental : la paix.

Dans la vie de chacun de nous, certains moments et certains événements nous ont liés les uns aux autres dans une reconnaissance consciente de l'unité de l'humanité. A partir du jour où nous avons pu voir pour la première fois des images de la terre depuis l'espace, un changement perceptible a eu lieu dans notre compréhension de la planète, de sa beauté et de sa fragilité extraordinaires. Grâce aux résultats de l'exploration spatiale, nous avons découvert que l'expression : " l'héritage commun de toute l'humanité " a pris un sens nouveau depuis cette date. Plus nous partageons les richesses artistiques et culturelles les uns des autres, plus nous découvrons notre humanité commune. Les jeunes, en particulier, ont approfondi le sens de l'unité à travers les événements sportifs régionaux et mondiaux et d'autres activités semblables, en renforçant leurs liens fraternels.

3. ... dans sa mise en pratique ...

En même temps, ces dernières années, nous avons eu bien souvent l'occasion de tendre une main fraternelle pour aider ceux que frappait un désastre naturel ou qui étaient atteints par la guerre et la famine. Nous sommes témoins du désir collectif grandissant - par delà les frontières politiques, géographiques et idéologiques - d'aider les membres les rnoins favorisés de la famille humaine. La souffrance de nos frères et sœurs de l'Afrique sub-saharienne, qui se prolonge et est encore si tragique, fait surgir des formes et des expressions concrètes de la solidarité universelle des êtres humains. En 1986, j'ai été heureux d'attribuer le Prix international Jean XXIII pour la Paix au Service catholique de Thaïlande pour les secours d'urgence et pour les réfugiés (COERR), notamment pour un double motif : j'avais ainsi l'occasion, en premier lieu, d'attirer l'attention du monde sur l'épreuve prolongée de ceux qui sont obligés de quitter leur patrie ; et, en second lieu, de mettre en lumière l'esprit de coopération et de collaboration dont tant de groupes, catholiques et autres, ont fait preuve pour répondre aux besoins des personnes sans foyer douloureusement éprouvées. Oui, l'esprit humain peut et sait répondre avec une grande générosité aux souffrances des autres. Dans ces faits, nous pouvons constater une réalisation croissante de la solidarité sociale où il s'affirme en paroles et en actes que nous sommes un, que nous devons reconnaître cette unité, et que c'est là un élément essentiel pour le bien commun de tous les individus et de toutes les nations.

Ces exemples illustrent le fait que nous pouvons coopérer, et que nous coopérons, de bien des manières, que nous pouvons travailler, et que nous travaillons ensemble pour faire avancer le bien commun. Cependant, il nous faut faire davantage. Il est nécessaire que nous adoptions une attitude fondamentale envers l'humanité et dans les relations que nous avons avec chaque personne et avec chaque groupe dans le monde. Nous pouvons commencer à voir là combien l'engagement pour la solidarité de toute la famille humaine est une clé pour la paix. Les projets qui favorisent le bien de l'humanité ou la bonne volonté entre les peuples sont une étape dans la réalisation de la solidarité. Les liens de sympathie et de charité qui nous poussent à aider ceux qui souffrent mettent en relief notre unité d'une autre manière. Mais le défi sous-jacent pour nous tous, c'est d'adopter une attitude de solidarité sociale avec toute la famille humaine et d'aborder dans cette attitude toutes les situations sociales et politiques.

Ainsi, par exemple, l'Organisation des Nations Unies a fait de 1987 l'Année internationale du logement des sans-abri. De cette manière, elle attire l'attention sur un point qui est l'objet de graves préoccupations, et elle soutient une attitude de solidarité humaine, politique et économique envers des millions de familles privées du cadre nécessaire à une vie familiale décente.

4. ... et face aux obstacles qu'elle rencontre

Malheureusement les exemples abondent d'obstacles mis à la solidarité, d'options politiques et idéologiques qui, en fait, limitent la mise en œuvre de la solidarité.

Ce sont des options ou des politiques qui ignorent l'égalité et la dignité fondamentales de la personne humaine ou les refusent. Parmi celles-ci, je pense en particulier à :
- la xénophobie qui renferme des nations sur elles-mêmes ou qui amène des gouvernements à établir des lois discriminatoires contre des personnes dans leur propre pays ;
- le fermeture des frontières d'une manière arbitraire et injustifiable, de sorte que des personnes sont effectivement privées de la possibilité de se déplacer et d'améliorer leur sort, d'être réunies avec leurs proches, ou simplement de rendre visite à leur famille ou de tendre la main vers les autres pour les aider et manifester leur compréhension ;
- des idéologies qui prêchent la haine ou la défiance, des systèmes qui établissent des barrières artificielles. La haine raciale, l'intolérance religieuse, les divisions de classes ne sont que trop présentes dans de nombreuses sociétés, ouvertement ou de manière occulte. Quand des responsables politiques érigent de telles divisions en systèmes intérieurs ou en politique portant sur les relations avec les autres nations, ces préjugés atteignent le cœur même de la dignité humaine. Ils deviennent un puissant motif de réactions qui aggravent les divisions, l'inimitié, la répression et la guerre. Le terrorisme est un autre mal qui, ces dernières années, a provoqué beaucoup de souffrances pour les personnes et de ravages dans la société.

Contre tout cela une solidarité effective constitue un antidote. Car si la caractéristique essentielle de la solidarité se trouve dans l'égalité radicale de tous les hommes et de toutes les femmes, il en résulte que toute politique qui contredit la dignité fondamentale et les droits humains de n'importe quelle personne ou de n'importe quel groupe de personnes est une politique qu'il faut rejeter. Au contraire, il faut soutenir les politiques et les programmes qui établissent des relations ouvertes et honnêtes entre les peuples, qui concluent des alliances justes, qui unissent les personnes pour une collaboration honorable. De telles initiatives n'ignorent pas les réelles différences linguistiques, raciales, religieuses, sociales ou culturelles entre les peuples; et elles ne refusent pas de voir les grandes difficultés qu'il y a à surmonter les divisions et les injustices existant depuis longtemps. Mais elles mettent au premier plan les éléments d'unité, aussi faibles qu'ils puissent paraître.

Cet esprit de solidarité est un esprit ouvert au dialogue. Il s'enracine dans la vérité, et la vérité est nécessaire à son développement. C'est un esprit qui cherche à construire plus qu'à détruire, à unir plus qu'à diviser. Du moment que la solidarité est universelle dans ses aspirations, elle peut revêtir bien des formes. Des accords régionaux en vue de promouvoir le bien commun et d'encourager les négociations bilatérales peuvent être utiles pour diminuer les tensions. Le partage des technologies ou des informations afin d'éviter des catastrophes ou d'améliorer la qualité de la vie des personnes dans une région définie contribuera à la solidarité et facilitera d'autres mesures sur une base plus large.

5. Réfléchir sur le développement ...

Il n'est peut-être pas d'autre secteur des tâches humaines où le besoin de solidarité sociale soit plus fort que le domaine du développement. Une grande part de ce qu'a dit Paul VI dans l'encyclique dont on célèbre le vingtième anniversaire s'applique particulièrement aujourd'hui. Il a vu très clairement que la question sociale avait pris une dimension mondiale (cf. Populorum progressio, n.3). Il fut parmi les premiers à attirer l'attention sur le fait que le progrès économique est en lui-même insuffisant et qu'il appelle le progrès social (cf, ibid., n. 35). Surtout, il insistait sur la nécessité d'un développement intégral, c'est-à-dire le développement de chaque personne et de toute la personne (cf. ibid., nn. 14-21 ). Il s'agissait, selon lui, d'un humanisme plénier: le développement total de la personne dans toutes ses dimensions et ouverte à l'Absolu qui " donne l'idée vraie de la vie humaine " ( ibid., n. 42 ). Un tel humanisme est l'objectif commun qui doit être recherché pour tous. " Le développement intégral de l'homme, disait-il, ne peut aller sans le développement solidaire de l'humanité " (ibid., n. 43).

Maintenant, vingt ans plus tard, je désire rendre hommage à cet enseignement de Paul VI. Aujourd'hui, dans des circonstances différentes, ces vues pénétrantes, spécialement en ce qui concerne l'importance d'un esprit de solidarité pour le développement, gardent toute leur valeur et jettent une vive lumière sur de nouveaux défis.

6. ... et ses applications aujourd'hui

Quand nous réfléchissons sur l'engagement pour la solidarité dans le champ du développement, la première vérité, et la plus fondamentale, est que le développement concerne les personnes. Les personnes sont les sujets du vrai développement, et le but du vrai développement, ce sont les personnes. Le développement intégral des personnes est l'objectif et la mesure de tous les projets de développement. Que toutes les personnes soient au centre du développement résulte de l'unité de la famille humaine; et ceci est sans rapport avec aucune des découvertes technologiques ou scientifiques que l'avenir peut réserver. Les personnes doivent être le centre de tout ce qui est fait pour améliorer les conditions de vie. Les personnes doivent être des agents actifs, et non des bénéficiaires passifs, de tout processus véritable de développement.

Un autre principe du développement en rapport avec la solidarité est la nécessité de promouvoir les valeurs qui sont véritablement utiles aux individus et à la société. Il ne suffit pas de tendre la main pour aider ceux qui sont dans le besoin. Il nous faut les aider à découvrir les valeurs qui leur permettent de bâtir une vie nouvelle et de prendre leur juste place dans la société, avec dignité et dans la justice. Toutes les personnes ont le droit de rechercher et d'obtenir ce qui est bon et vrai. Tous ont le droit de choisir ce qui élève la vie, et, en aucune manière, la vie en société n'est moralement neutre. Les choix sociaux ont des conséquences qui favorisent ou compromettent le vrai bien de la personne dans la société.

Dans le domaine du développement, et spécialement de l'aide au développement, des programmes ont été proposés qui prétendent être " hors valeurs " mais qui, en fait, sont contraires aux valeurs de la vie. Si l'on constate que des programmes gouvernementaux ou des aides globales obligent virtuellement des communautés ou des pays à accepter, pour prix de la croissance économique, des campagnes de contraception et des dispositions pour favoriser l'avortement, il faut dire clairement et avec force que ces propositions violent la solidarité de la famille humaine parce qu'elles refusent les valeurs de la dignité humaine et de la liberté humaine.

Ce qui est vrai du développement des personnes grâce au choix des valeurs qui élèvent la vie s'applique aussi au développement de la société. Tout ce qui empêche la vraie liberté milite contre le développement de la société et des institutions sociales. L'exploitation, les menaces, la soumission forcée, le refus de la part d'une fraction de la société de donner ses chances à une autre, tout cela est inacceptable et contredit la vraie notion de solidarité humaine. De telles actions, à l'intérieur d'une société ou entre les nations, peuvent malheureusement paraître réussir pour un temps. Cependant, plus de telles conditions se prolongent, plus il est probable qu'elles seront cause d'un renforcement de la répression et d'un accroissement de la violence. Dans l'injustice institutionnalisée se trouvent déjà les germes de la destruction. Refuser les moyens de réaliser son développement à une fraction d'une société déterminée ou à une nation, ne peut que conduire à l'insécurité et à l'agitation sociale. Cela produit la haine et la division, cela détruit l'espérance de la paix.

La solidarité qui favorise le développement intégral est celle qui protège et défend la liberté légitime de chaque personne et la juste sécurité de chaque nation. Sans cette liberté et cette sécurité, les vraies conditions du développement font défaut. Non seulement les individus mais aussi les nations doivent être en mesure de participer aux choix qui les concernent. La liberté que doivent avoir les nations pour assurer leur croissance et leur développement comme des partenaires égaux dans la famille des nations dépend de leur respect mutuel. Rechercher une supériorité économique, militaire ou politique aux dépens des droits d'autres nations ruine toute perspective de vrai développement et de vraie paix.

7. Solidarité et développement: deux clés pour la paix

C'est pour ces raisons que j'ai proposé de réfléchir cette année sur la solidarité et le développement comme des clés pour la paix. Chacune de ces réalités présente une signification spécifique. L'une et l'autre sont nécessaires en vue des objectifs que nous poursuivons. La solidarité est de nature éthique parce qu'elle suppose que l'on porte sur l'humanité un jugement de valeur. C'est pourquoi ses implications pour la vie humaine sur cette planète et pour les relations internationales sont aussi d'ordre éthique: les liens communs de notre humanité exigent que nous vivions en harmonie et que nous promouvions ce qui est bon les uns pour les autres. C'est en raison de ces implications éthiques que la solidarité est une clé fondamentale pour la paix.

C'est à cette lumière que le développement prend tout son sens. Il ne s'agit plus seulement d'améliorer certaines situations ou certaines conditions économiques. En dernier ressort, le développement devient une question de paix, parce qu'il aide à accomplir ce qui est bon pour les autres et pour la communauté humaine dans son ensemble.

Dans le contexte d'une vraie solidarité, il n'y a pas de danger d'exploitation ou de mauvais usage des programmes de développement au profit du petit nombre. Au contraire, le développement devient alors un processus qui engage les différents membres de la même famille humaine et les enrichit tous. Alors que la solidarité nous fournit la base éthique pour agir, le développement devient ce qu'un frère offre à son frère, afin que tous deux puissent vivre plus pleinement dans toute la diversité et la complémentarité qui sont les caractéristiques de la civilisation humaine. De cette dynamique résulte l'harmonieuse " tranquillité de l'ordre " qui est la paix véritable. Oui, la solidarité et le développement sont deux clés pour la paix.

8. Quelques problèmes modernes ...

Parmi les problèmes auxquels le monde est confronté au seuil de 1987, beaucoup sont en vérité complexes et paraissent presque insolubles. Cependant, si nous croyons à l'unité de la famille humaine, si nous affirmons que la paix est possible, notre réflexion commune sur la solidarité et le développement comme clés pour la paix peut apporter bien des lumières sur ces sujets cruciaux.
Assurément le problème persistant de la dette extérieure de nombreux pays en voie de développement pourrait être examiné d'un regard nouveau si tous ceux qui sont concernés intégraient ces considérations éthiques dans leurs évaluations et dans les solutions proposées. De nombreux aspects de ce problème - le protectionnisme, les prix des matières premières, les priorités pour les investissements, le respect des obligations souscrites aussi bien que la prise en considération de la situation intérieure des pays débiteurs - gagneraient à ce que l'on recherche en esprit de solidarité des solutions qui favorisent un développement durable.

A propos de la science et de la technologie, des divisions nouvelles et profondes apparaissent entre ceux qui disposent de la technologie et ceux qui n'en disposent pas. De telles inégalités ne favorisent pas la paix et le développement harmonieux, mais elle aggravent plutôt les situations d'inégalité déjà existantes. Si les personnes sont les sujets du développement et son objectif, il y a un impératif éthique de solidarité à partager plus largement les progrès en technologie appliquée avec les pays moins avancés dans ces domaines, et à refuser de faire de ces pays un terrain d'expérimentations problématiques ou un lieu de débarras pour les produits douteux. Les Organisations internationales et certains Etats font en ces domaines de réels efforts, qui représentent une contribution importante en faveur de la paix.

Des études récentes sur la relation entre le désarmement et le développement - deux des problèmes les plus cruciaux auxquels le monde est affronté aujourd'hui - font ressortir que les tensions actuelles entre l'Est et l'Ouest et les inégalités entre le Nord et le Sud constituent de sérieuses menaces pour la paix du monde. Il devient de plus en plus clair qu'un monde en paix, où est assurée la sécurité des peuples et des Etats, demande une solidarité active dans les efforts en faveur du développement et en même temps du désarmement. La pauvreté de certains Etats ne peut être sans conséquences pour tous les Etats; et si les négociations sur le désarmement restent sans résultats, cela ne peut que porter préjudice à tous les Etats. Et nous ne pouvons pas oublier ce que l'on appelle des conflits locaux qui coûtent de nombreuses vies humaines. Tous les Etats ont une responsabilité dans la paix du monde et cette paix ne peut être assurée tant que la sécurité fondée sur les armes n'est pas progressivement remplacée par la sécurité fondée sur la solidarité de la famille humaine. Une fois encore, je lance un appel pour que de nouveaux efforts soient accomplis afin de réduire les armes au minimum nécessaire à la légitime défense, et pour que l'on prenne des mesures plus importantes afin d'aider les pays en voie de développement à devenir auto-suffisants. C'est seulement ainsi que la communauté des Etats peut vivre dans une véritable solidarité.

Il est encore une autre menace pour la paix qui, dans le monde entier, sape les racines mêmes de chaque société : l'effondrement de la famille. La famille est la cellule de base de la société. La famille est le lieu premier où se produit le développement ou bien où il ne se produit pas. Si elle est saine et florissante, les possibilités sont grandes d'un développement intégral de l'ensemble de la société. Trop souvent, cependant, tel n'est pas le cas.

Dans de trop nombreuses sociétés, la famille est devenue un élément secondaire. Elle est relativisée à la suite de divers types d'interventions et, souvent, elle ne reçoit pas de l'Etat la protection et le soutien dont elle a besoin. Il n'est pas rare qu'elle soit privée des moyens équitables auxquels elle a droit pour être en mesure de croître et d'offrir à ses membres le cadre où ils pourront s'épanouir. Le phénomène des familles brisées, le fait que les membres d'une famille soient obligés de se séparer pour survivre, l'impossibilité de trouver un logement qui permette de fonder une famille ou de la faire vivre, tout cela est signe d'un sous-développement moral et d'une société qui a perdu le sens de ses valeurs. L'importance qu'un peuple ou une nation accorde au développement des familles est un indice fondamental de sa santé. Des conditions propices aux familles favorisent l'harmonie de la société et de la nation, et à leur tour fortifient la paix, tant à l'intérieur que dans le monde.

Nous voyons aujourd'hui le spectre effrayant de jeunes enfants abandonnés ou envoyés de force sur le marché du travail. Nous rencontrons des enfants et des jeunes dans des bidonvilles et de vastes cités impersonnelles où ils ne trouvent qu'une maigre subsistance et peu ou pas d'espoir pour l'avenir. L'effondrement de la structure familiale, la dispersion de ses membres, particulièrement des très jeunes, et les maux qui les affectent en conséquence - toxicomanie, alcoolisme, relations sexuelles passagères et sans signification, exploitation par d'autres - sont des éléments négatifs pour le développement de toute la personne que seule la solidarité sociale de la famille humaine peut favoriser. Croiser le regard d'une autre personne et y voir les espoirs et les angoisses d'un frère ou d'une sœur, c'est découvrir le sens de la solidarité.

9. ... qui nous engagent tous

L'enjeu, c'est la paix: la paix civile à l'intérieur des nations et la paix du monde entre les Etats (cf. Populorum progressio, n. 55 ). Paul VI a vu cela clairement il y a vingt ans. Il a perçu le lien intrinsèque entre les exigences de la justice dans le monde et la possibilité de la paix pour le monde. Ce n'est pas par une simple coïncidence que l'année même de la publication de Populorum progressio a été marquée par l'institution de la Journée mondiale annuelle de la Paix, initiative que j'ai été heureux de poursuivre.

Paul VI a déjà exprimé l'essentiel de la réflexion que nous menons cette année sur la solidarité et le développement comme clés pour la paix, lorsqu'il déclarait: " La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l'équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d'un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes " (ibid., n. 76).

10. L'engagement des croyants et spécialement des chrétiens

Tous ceux d'entre nous qui croient en Dieu sont convaincus que l'ordre harmonieux auquel aspirent tous les peuples ne peut se réaliser par les seuls efforts humains, aussi indispensables soient-ils. Cette paix - la paix personnelle et la paix avec les autres - doit être recherchée en même temps dans la prière et la méditation. En disant cela, j'ai devant les yeux et au fond du cœur l'expérience profonde de la récente Journée mondiale de Prière pour la Paix à Assise. Les responsables et les délégués des Eglises chrétiennes, des Communautés ecclésiales et des Religions du monde ont offert une expression vivante de la solidarité dans la prière et la méditation pour la paix. C'était, de la part de chacun des participants - et de tous ceux qui se sont unis à nous en esprit -, un engagement visible à rechercher la paix, à être des artisans de paix, à faire tout ce qui est possible, dans la profonde solidarité de l'esprit, afin de travailler à une société où la justice fleurira et la paix abondera (cf. Ps 72, 7).

Le juste Juge que le psalmiste nous décrit est celui qui fait justice aux pauvres et à ceux qui souffrent. " Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie. Il les rachète à l'oppression, à la violence ... " (vv. 13-14). Ces paroles sont sous nos yeux aujourd'hui, tandis que nous prions pour que l'aspiration à la paix qui a marqué le rassemblement d'Assise soit la force dynamique de tous les croyants et particulièrement des chrétiens.

Car les chrétiens peuvent discerner dans ces paroles inspirées des psaumes la figure de notre Seigneur Jésus Christ, Celui qui a apporté la paix au monde, Celui qui a guéri les blessés et les affligés, " porté la Bonne Nouvelle aux pauvres, ... apporté aux opprimés la libération " (Lc 4, 18). Jésus Christ est Celui que nous appelons "notre paix", et qui " a fait tomber ce qui séparait, le mur de la haine " (Ep 2, 14), afin de faire la paix. Oui, précisément ce désir de faire la paix, manifesté lors du rassemblement d'Assise, nous encourage aussi à réfléchir sur la manière de célébrer cette Journée mondiale à l'avenir.

Nous aussi, nous sommes appelés à être semblables au Christ, à être des artisans de paix par la réconciliation, à coopérer avec Lui dans la tâche d'apporter la paix sur cette terre en faisant avancer la cause de la justice pour tous les peuples et toutes les nations. Et nous ne devons jamais oublier ses paroles qui résument toute expression parfaite de la solidarité humaine: " Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux " (Mt 7, 12). Quand ils n'observent pas ce commandement, les chrétiens devraient comprendre qu'ils sont cause de division et qu'ils commettent un péché. Ce péché a des conséquences graves dans la communauté des croyants et dans toute la société. Il offense Dieu lui-même qui est le créateur de la vie et celui qui en maintient l'existence.

La grâce et la sagesse que Jésus montre dès le temps de sa vie cachée à Nazareth avec Marie et Joseph (cf. Lc 2, 51-52) sont un modèle pour nos propres relations mutuelles en famille, dans notre nation, dans le monde. Le service du prochain par la parole et par les actes qui marque la vie publique de Jésus nous rappelle que la solidarité de la famille humaine a été radicalement renouvelée. Elle a reçu une fin transcendante qui ennoblit tous nos efforts humains en vue de la justice et de la paix. Enfin, l'acte suprême de solidarité que le monde a connu - la mort en Croix de Jésus-Christ pour tous - ouvre pour nous chrétiens la voie que nous avons à suivre. Pour que notre travail pour la paix soit pleinement efficace, il doit avoir part à la puissance transformante du Christ dont la mort donne la vie à tous les hommes nés dans ce monde, et dont le triomphe sur la mort est l'ultime garantie que la justice nécessaire à la solidarité et au développement conduira à la paix durable.
Que l'adhésion donnée par les chrétiens à Jésus-Christ comme Sauveur et Seigneur oriente tous leurs efforts! Que leur prière les soutienne dans leur engagement pour la cause de la paix par le développement des peuples dans l'esprit de la solidarité sociale!

11. Appel final

Ainsi nous commençons ensemble une année nouvelle : 1987. Puisse-t-elle être une année où l'humanité écartera enfin les divisions du passé, une année où les hommes chercheront la paix de tout leur cœur ! Mon espoir est que chacun puisse trouver dans ce Message une occasion d'approfondir son engagement pour l'unité de la famille humaine dans la solidarité. Puisse-t-il nous inciter et nous encourager tous à chercher le vrai bien de tous nos frères et sœurs dans un développement intégral qui favorise toutes les valeurs de la personne humaine dans la société !

Au commencement de ce Message, j'expliquais que le thème de la solidarité me poussait à l'adresser à tous, à tout homme et à toute femme de ce monde. Je répète à présent cette exhortation à chacun de vous, mais je désire aussi lancer les appels particuliers qui suivent :
- vous tous, chefs de Gouvernements et responsables d'Organisations internationales: afin d'assurer la paix, je fais appel à vous pour que vous redoubliez d'efforts en vue du développement intégral des individus et des nations ;
- vous tous qui avez participé à la Journée mondiale de Prière pour la Paix à Assise ou qui étiez unis spirituellement avec nous à ce moment : je fais appel à vous pour que nous portions témoignage ensemble en faveur de la paix dans le monde ;
- vous tous qui voyagez et qui prenez part à des échanges culturels: je fais appel à vous pour que vous soyez les instruments conscients de plus de compréhension, de respect et d'estime mutuels ;
- vous, mes frères et sœurs plus jeunes, la jeunesse du monde: je fais appel à vous pour que vous employiez tous les moyens capables de forger de nouveaux liens de paix dans la solidarité fraternelle avec les jeunes dans le monde entier.

Et oserai-je espérer être entendu par ceux qui recourent à la violence et au terrorisme ? Ceux d'entre vous qui veulent bien écouter au moins ma voix, je vous supplie, comme je l'ai fait dans le passé, de vous détourner de la poursuite violente de vos objectifs - même si les objectifs eux-mêmes sont justes. Je vous supplie de renoncer à tuer et à blesser les innocents. Je vous supplie de cesser de miner la structure même de la société. Par la voie de la violence, vous ne pouvez obtenir la justice ni pour vous ni pour personne d'autre. Si vous le voulez, vous pouvez encore changer. Vous pouvez affirmer votre propre humanité et reconnaître la solidarité humaine.

Je fais appel à vous tous, où que vous soyez, quoi que vous fassiez : puissiez-vous voir le visage d'un frère ou d'une sœur en tout être humain ! Ce qui nous unit est tellement plus grand que ce qui nous sépare et nous divise : c'est notre commune humanité.

La paix est toujours un don de Dieu, et pourtant elle dépend aussi de nous. Et les clés de la paix sont à notre portée. Il nous revient de nous en servir pour ouvrir toutes les portes !

Du Vatican, le 8 décembre 1986.



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