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 MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II 
À S.EXC. MGR SALVATORE FISICHELLA 
À L'OCCASION DU XVIème SYMPOSIUM JURIDIQUE 
DE DROIT CANONIQUE ET DE DROIT CIVIL


A mon Vénéré Frère Mgr Salvatore FISICHELLA 
Recteur magnifique de l'Université pontificale du Latran


1. J'ai appris avec plaisir que l'Institutum Utriusque Iuris de l'Université pontificale du Latran a promu un Colloque juridique international consacré à l'approfondissement de la relation intrinsèque entre les contenus fondamentaux du droit et l'idéal de justice qui est celui de la législation canonique. Tout en vous adressant mon salut, Vénéré Frère, je suis heureux de vous renouveler mes félicitations pour la tâche qui vous a été récemment confiée à la tête de cette Université, qu'on appelle à juste titre l'"Université du Pape". J'étends mon salut cordial au Président de l'Institut "Utriusque Iuris", le Père Domingo Andrés, et aux Doyens des Facultés de Droit canonique et de Droit civil à qui sont confiées l'organisation et la direction de cette importante initiative juridique et culturelle.

Le choix du thème du Colloque est une marque renouvelée de l'attachement de cet Institut à la Chaire de Pierre et de sa fidélité au Magistère de l'Eglise. En effet, grâce au travail de recherche et de formation de ses deux Facultés de Droit canonique et de Droit civil, il est appelé à préparer des juristes qualifiés dans ces deux systèmes de droit, celui de l'Eglise et celui de la communauté civile, dans une perspective qui, tout en s'appuyant sur sa solide tradition, s'ouvre aux questions posées par les sciences juridiques contemporaines et, dans le même temps, aux exigences toujours nouvelles qui mûrissent dans ces systèmes juridiques.


2. Ces jours-ci, vous confrontez vos points de vue sur la relation intrinsèque entre droit et justice dans la législation canonique en vigueur, en vous basant sur la promulgation du Nouveau Code de Droit canonique et du Code des Canons des Eglises orientales, ainsi que sur la façon dont cette relation peut trouver un accueil dans les orientations législatives et dans les contenus de fond qui caractérisent les systèmes juridiques civils, de ceux propres aux Etats jusqu'à ceux du droit international.

Dans cet effort d'approfondissement, vous trouverez un soutien, un fil directeur à cette enquête, dans le principe que la justice doit être l'essence de tout acte, qui, par nature, a pour objectif le bien d'une communauté et de ceux qui en font partie. Selon, précisément, la méthode du utrumque ius, il vous est donc demandé d'accompagner l'analyse de la législation canonique en vigueur d'une réflexion sur le fonctionnement des systèmes juridiques de la société civile, contribuant ainsi à définir l'apport réciproque de ces deux droits, en révélant leurs convergences et leurs particularités dans l'optique du service à la personne humaine.

On ne peut douter que l'unité du droit et de la science juridique trouve son fondement dans une justice dynamique, expression non seulement d'un ordre légal strict, mais surtout de cette recta ratio qui doit gouverner les comportements autant des individus, que de l'autorité. C'est ce qu'affirme saint Thomas d'Aquin, quand il rappelle que:  "Toute loi portée par les hommes n'a raison de loi que dans la mesure où elle dérive de la loi de nature" (Somme théologique, I-II, q. 95, a. 2).


3. Dans la vision chrétienne, les termes droit et justice, en tant qu'ils interviennent dans la constitution des systèmes juridiques, constituent également des rappels à une justice supérieure, qui devient le critère qui doit servir de mesure à tout comportement de nature juridique, que ce soit celui des législateurs ou celui de toute personne qui, à divers titre, oeuvre dans le domaine de la justice.

En effet, si l'on part de l'essence même du droit de l'Eglise, l'exigence de garantir le salus animarum comme critère du rapport correct entre la norme juridique et les aspirations légitimes des christifideles apparaît immédiatement. Le système juridique de la communauté ecclésiale tend avant toute chose à réaliser la communion ecclésiale, en faisant prévaloir la dignité de chaque baptisé, dans l'égalité substantielle et dans la diversité des rôles de chacun. Cette diversité, en effet, n'est pas simplement l'expression d'une "exigence fonctionnelle", mais l'indice de la vision propre à l'anthropologie chrétienne, et de la réalité sacramentelle et institutionnelle de l'Eglise.

Ce n'est en effet que dans la communion organique de la communauté chrétienne que la dignité des christifideles trouve l'espace et les moyens de faire une place à l'exigence légitime de protection de ses droits et de respect de ses devoirs. C'est la raison pour laquelle la communion exige que la charité soit toujours présente, car elle ne contredit pas le droit mais en fait un instrument de vérité, en contribuant à créer la certitude des règles et donc le déroulement ordonné de rapports juridiques qui ne lèsent pas la justice.


4. En considérant la réalité actuelle de l'organisation de la société civile, malgré la diversité des cultures et des conceptions qui inspirent les différents systèmes juridiques, on peut remarquer combien le sens du droit trouve partout une considération, jusqu'à se traduire parfois en véritables revendications en cas de conflits ou bien de comportements qui s'opposent durablement à une justice effective.

Nous assistons souvent, malheureusement, à la formulation de normes qui, au lieu de satisfaire les exigences du bien commun par la garantie de la protection légitime des individus, se contentent de ne considérer que les intérêts de catégories limitées, déformant ainsi l'idée même de justice et réduisant le système juridique à un simple outil de réglementation pragmatique. De plus, dans de nombreux cas, un accroissement rapide et inconsidéré des normes, qu'on justifie par l'apparente nécessité de réglementer tous les aspects de l'ordre social, tend à soustraire aux individus et aux formations sociales intermédiaires les espaces vitaux nécessaires pour garantir les aspirations les plus profondes de l'homme.

Il est clair que la dignité de la personne humaine, même si elle est formellement reconnue comme fondement de chacun des droits, serait bafouée, ou tout du moins ne serait pas respectée, si la justice était réduite à une simple fonction de règlement des différends. Dans ce cas-là, le rôle de la science juridique en serait même amoindri et l'activité des personnes chargées de rendre la justice se réduirait à l'application de décisions purement techniques.


5. Les systèmes juridiques présentent aujourd'hui des lacunes préoccupantes dans certains domaines, notamment ceux des progrès de la technologie ou de la recherche scientifique, ou encore des nouveaux modes de vie, qui ont posé des problèmes nouveaux. Dans ces cas-là, le recours à des autorités supplétives ou à l'analogie avec d'autres situations ou d'autres normes juridiques, ne se révèle pas toujours approprié, de même que le critère selon lequel est permis, d'un point de vue moral et pratique, ce que le droit n'interdit pas, a démontré ses limites.

Une telle situation culturelle met en lumière un manque croissant de référence à des principes éthiques et à des valeurs qui fondent l'ordre social, s'inspirant de cette doctrine morale objective qui est à l'origine de toute société humaine juste. Il faut donc rappeler encore une fois que la fonction législative, à tous les niveaux, ne peut pas trouver sa justification ou son fondement en ayant simplement recours à la seule règle de la décision de la majorité, puisque, comme je l'ai souligné dans l'Encyclique Veritatis splendor, "la doctrine morale ne peut certainement pas dépendre du simple respect d'une procédure:  en effet elle n'est nullement établie en appliquant les règles et les formalités d'une délibération de type démocratique" (n. 113).


6. En partant de ce principe, il est également possible de mieux saisir les difficultés que connaît actuellement l'ordre international, au sein duquel un éloignement progressif des principes éthiques immuables risque de limiter les effets des fondements constitutifs sur lesquels repose cet ordre, affaiblissant ainsi la force d'un droit international patiemment construit. Nous assistons parfois, avec regret, à des comportements de la communauté des Nations qui ne sont pas conformes au principe fondamental du pacta sunt servanda, en préférant un continuel recours à la pratique du consensus pour adopter des règles qui, permettant les interprétations les plus variées, n'en viennent à créer que des obligations limitées pour leur destinataires et restent donc réduits dans leurs effets.

Il s'agit malheureusement d'attitudes que l'on retrouve non seulement dans les relations entre Etats, mais également dans les processus d'intégration supranationale, qui semblent souvent vouloir séparer la dimension matérielle et sociale de l'homme, de sa dimension éthique et religieuse, ce qui a des retentissements immédiats sur la sphère politique et législative. Le fait religieux ne peut être considéré comme une simple conviction subjective, ni surtout être réduit à une manifestation cultuelle individuelle,  puisque  la religion porte intrinsèquement l'exigence d'une expression communautaire et d'une formation adéquate de ses membres.


7. Le critère fondamental de tout système juridique juste doit toujours être la référence à la personne humaine, en tant que dépositaire d'une dignité inaliénable, dans ses dimensions à la fois individuelle et communautaire. Il est donc important de faire tous les efforts nécessaires en vue de la réalisation d'une protection effective des droits fondamentaux de l'homme, sans toutefois bâtir autour d'eux des théories et des comportements qui cherchent à privilégier uniquement certains aspects de ces droits ou bien seulement ceux qui répondent à des intérêts spécifiques et correspondent à la sensibilité d'un moment historique déterminé. On oublierait alors le principe essentiel de l'indivisibilité des droits de l'homme, qui trouve son fondement dans l'unité de la personne humaine et dans sa dignité intrinsèque.

Très chers et illustres participants à ce Symposium, tout en vous exprimant mon estime et ma profonde considération, pour le sérieux et la compétence avec laquelle vous exercez votre service culturel et juridique dans un cadre tellement important et tellement vital pour l'Eglise et la société civile, j'invoque sur vous, ainsi que sur votre activité quotidienne d'étude et de recherche, la protection maternelle de la Vierge Marie, Speculum Iustitiae. J'accompagne ces sentiments et ces voeux d'une Bénédiction apostolique spéciale, que j'étends volontiers à vos collaborateurs, vos étudiants et à tous ceux qui vous sont chers.

Du Vatican, le 21 mars 2002

 



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