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DISCOURS DE SA SAINTETÉ JEAN-PAUL II
À LA COMMUNAUTÉ DE TRAVAIL
DES ÉGLISES CHRÉTIENNES EN SUISSE

Jeudi, 10 novembre 1988

 

Chers Frères et Sœurs,

1. Bénis soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ: son Esprit d’amour qui conduit vers la vérité tout entière[1] nous a donné de nous rencontrer et de nous aider les uns les autres pour accomplir sa volonté!

Votre visite à Rome, avec les temps de prière, d’étude et de rencontres fraternelles qu’elle a comportés, a été significative sur plus d’un point. S’inscrivant dans la suite de notre rencontre à Kehrsatz le 14 juin 1984, elle s’est déroulée dans l’esprit qui préside aux engagements de la Communauté de travail des Eglises chrétiennes en Suisse, c’est-à-dire: accepter de s’interroger les uns les autres sur la fidélité à servir la Vérité suprême qui nous a été révélée dans le Seigneur Jésus lui-même.

Vos réunions de travail avec plusieurs organismes de la Curie romaine seront, je l’espère, utiles pour votre mission œcuménique. Je suis certain qu’elles ont contribué aussi à aider mes proches collaborateurs, membres de ces organismes, dans la mission qui est la leur. Je vous remercie d’être venus réfléchir avec eux, car ils sont tous engagés, «par le fait même d’être des collaborateurs du Pape, au service de l’unité de l’Eglise qui incombe d’une manière unique à l’évêque de Rome»[2]. Je vous exprime aussi ma joie et ma reconnaissance pour ces instants de prière et de dialogue que nous vivons ensemble.

2. La mission œcuménique des chrétiens et des chrétiennes de Suisse est tout à fait particulière à cause de l’histoire religieuse de votre pays. Quand on évoque l’histoire du christianisme, les noms de vos grandes villes apparaissent à certaines époques comme ceux de lieux de mésentente, de séparation et de défiance: Genève, Zurich, Berne, Bâle, Neuchâtel. C’est votre mission commune d’en faire des lieux de réunion, de confiance et d’espérance pour le rayonnement de l’Evangile et la joie de ceux qui y vivent. Je sais que de nombreuses réalisations locales vont dans ce sens et je demande au Seigneur qu’il vous accorde la grâce de la persévérance, malgré les difficultés anciennes qui ne sont pas encore surmontées et les difficultés nouvelles qui peuvent surgir.

A Kehrsatz, j’avais manifesté l’espoir que les catholiques et les réformés de Suisse soient un jour en mesure d’écrire ensemble l’histoire de l’époque de leurs séparations «époque troublée et complexe», et de l’écrire «avec l’objectivité que donne une profonde charité fraternelle»[3].  Je sais qu’on a commencé de réfléchir à ce projet et j’espère que l’on pourra s’acheminer vers sa réalisation.

3. Au cours de votre visite, vous travaux avec les organismes de la Curie romaine n’ont pas porté seulement sur des préoccupations centrées sur la vie interne des Eglises ou du mouvement œcuménique. Des chrétiens qui se replieraient sur eux-mêmes ne seraient plus fidèles à leur mission. Nous avons reçu la grâce de la foi pour témoigner de l’amour de Dieu envers tous les hommes. Vous avez parlé des droits de l’homme et de l’horrible drame de la torture. L’endettement des pays du tiers monde et l’urgence de l’engagement œcuménique pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création ont fait l’objet de vos échanges parce qu’il y va de l’avenir du monde et de la crédibilité des chrétiens. Lorsque, dans un pays, s’intensifient et se développent les relations et les échanges avec les autres nations, au-delà des frontières politiques et en refusant d’être guidé par les seuls intérêts économiques, alors la paix se construit. En Suisse, des organismes de toutes sortes y travaillent, à différents niveaux, et je pense notamment aux institutions internationales qui ont leur siège à Genève. Les chrétiens suisses ont une responsabilité particulière pour appuyer ensemble ces efforts en faveur de la paix au niveau local et international.

4. Considérant les situations plus spécifiquement ecclésiales, vous voulez être attentifs aux communautés minoritaires qui risquent de ne pas toujours pouvoir faire entendre leur voix, soit dans la nation, soit dans la collaboration œcuménique, parce que d’autres sont davantage présentes en raison du grand nombre de leurs membres et des moyens dont elles disposent. Ce risque est réel partout dans le monde. Pourtant, l’importance d’une Eglise ne se mesure pas au nombre de ses fidèles, mais à la vigueur de leur vie de foi. Dans la recherche de l’unité et dans le témoignage commun, chaque Eglise ou communauté ecclésiale doit pouvoir être reçue avec les caractéristiques de sa spiritualité, de son expérience missionnaire et de sa manière d’exprimer le mystère de sa foi. Puisque j’ai relevé ce point dans vos préoccupations, permettez-moi d’exprimer le souhait que l’Eglise orthodoxe présente en Suisse puisse un jour, elle aussi, collaborer avec vous en devenant membre de votre communauté de travail.

5. Parmi les réalités dont nous portons tous le souci, il y a la participation à l’Eucharistie et les mariages mixtes. En ce qui concerne le repas du Seigneur, nos positions ne se rejoignent pas encore, et malgré toutes les difficultés et souffrances qui en résultent pour la vie des communautés, nous ne pouvons pas agir comme si cette divergence, qui touche à un point essentiel de la foi, n’existait pas. Dans notre foi catholique, c’est par fidélité à ce que les Apôtres nous ont transmis comme venant du Christ que nous considérons qu’une célébration commune de l’Eucharistie suppose l’unité dans la foi et qu’elle est étroitement liée aussi à ce que nous croyons du rôle propre et du statut ecclésiologique des ministères ordonnés. Je disais récemment aux protestants que je rencontrais à Strasbourg: «Comme catholiques, nous ne voulons pas laisser croire que l’impossibilité actuelle d’une commune participation à l’Eucharistie soit une simple question de discipline ecclésiastique qui peut être résolue différemment suivant les personnes et les circonstances»[4]. L’Eucharistie et les ministères de l’Eglise doivent donc continuer de faire l’objet d’un dialogue théologique; nous espérons tous que la grâce de Dieu se servira de ce dialogue et qu’avec notre prière et la conversion de nos cœurs, elle nous permettra d’accomplir un jour, tous ensemble, ce que nous catholiques, nous croyons encore impossible aujourd’hui.

6. Les mariages mixtes sont de plus en plus nombreux en Suisse, et cette réalité est une de vos importantes préoccupations communes. Le ministère pastoral spécifique dont les couples mixtes ont besoin nécessite une collaboration régulière, efficace et confiante des Eglises. Les familles qui doivent supporter au cœur même de leur vie les conséquences douloureuses de nos séparations, mais aussi l’espérance et l’amour qui déjà nous rapprochent, ces familles-là ont droit à une attention prioritaire. J’imagine à quel point il peut être difficile et délicat, pour ceux qui sont chargés d’un ministère pastoral, de présenter le visage à la fois exigeant et maternel de l’Eglise à des fiancés qui appartiennent à deux confessions différentes et qui, trop souvent, n’ont que des contacts très occasionnels avec elles. Ne faudrait-il pas éviter de dire trop hâtivement qu’un mariage mixte est une «chance pour l’œcuménisme», quand on constate que beaucoup de foyers concernés vivent ensuite dans l’indifférence religieuse, pour des raisons d’ailleurs très diverses? Comment soutenir en vérité les époux qui désirent l’un et l’autre rester fidèles à leur Eglise respective, éduquer leurs enfants dans la foi et apporter leur contribution au mouvement œcuménique, quand les situations de ces couples sont si variées, leur environnement paroissial parfois trop faible et un témoignage évangélique exigeant si difficile dans une nation tranquille, riche et prospère? Ce sont des questions que vous vous posez souvent. Vous aimez à définir la communauté de travail des Eglises chrétiennes comme une «communion provisoire en croissance». De cette communion devrait surgir, sinon des solutions définitives, du moins des réponses dynamisantes à ces questions pastorales, réponses élaborées et mises en œuvre dans une collaboration commune, persévérante, audacieuse et confiante.

7. Chers Frères et Sœurs, vous allez rejoindre vos communautés en Suisse. Vous allez partager avec elles les espoirs qu’ont fait naître en vous les contacts que vous avez eus à Rome. Vous allez aussi exprimer peut-être votre déception ou votre insatisfaction sur tel ou tel point du contenu de vos échanges. Quoiqu’il en soit des résultats immédiats, je suis convaincu qu’il y a eu progrès œcuménique, car je partage pleinement la certitude que vous avez exprimée à la fin de votre déclaration commune du 6 mai 1986: «Il y a progrès œcuménique quand les cœurs se tournent ensemble vers Dieu, notre Père à tous, quand, dans l’amour de Jésus-Christ, des frères et de sœurs encore séparés se tournent les uns vers les autres et quand enfin on met son attente dans la promesse des dons de l’Esprit, qui atteste la fidélité de Dieu».


[1] Cfr. Io. 16, 13.

[2] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Patres Cardinales Romanaeque Curiae Prelatos et Officiales coram admissos, 4, die 28 iun. 1985: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 1 (1985) 1991.

[3] Eiusdem Allocutio in pago vulgo «Kehrsatz», apud Bernam, ad homines adscitos in Consilium Communicatum seiunctarum Helvetiae, 2, die 14 iun. 1984: Insegnamenti di Giovanni Poalo II, VII, 1 (1984) 1749.

[4] Eiusdem Allocutio Strasbourgi, ad oecumenicam celebrationem in Ecclesia S. Thomae habita, 4, die 9 oct. 1988: vide supra, p. 1135.

 

 

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