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DISCOURS DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DU
NORD DE LA FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 18 janvier 1988

 

Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Pasteurs des treize diocèses de la région apostolique du Nord de la France, votre visite ad limina vous conduit à nouveau sur le chemin de Pierre et de Paul, pour puiser aux sources vives de votre mission, en communion avec l’Évêque de Rome.

Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue, avec cet affectus collegialis dont j’ai souvent dit que la visite ad limina manifestait concrètement la réalité. Je remercie Monseigneur Lucien Bardonne, votre Président, des paroles qu’il vient de m’adresser. J’entends bien les soucis qu’il a exprimés et les questions qu’il a posées. Ces éléments sont importants, ils traduisent avec lucidité les difficultés quotidiennes de la mission ecclésiale, et aussi l’espérance qui vous anime, ainsi que tous vos collaborateurs. Je retiens vos interrogations, même si je ne puis répondre aujourd’hui sur tous les points; je m’efforcerai d’y revenir au cours de mes rencontres successives avec vos confrères de France.

2. Dans le rapport régional, vous insistez sur les «mutations permanentes» qui marquent vos régions. «Choses nouvelles», pour reprendre l’expression de Léon XIII, elles vous inquiètent souvent, mais elles comportent aussi des côtés positifs et dynamiques. Votre Commission sociale vient d’en présenter un ample exposé et de proposer des pistes de réflexion. Je voudrais m’arrêter un instant à trois aspects des situations humaines nouvelles, créées par des changements sociaux – et économiques – dont l’accélération accroît le poids dans la société en général et l’impact sur la vie ecclésiale. Il faut en prendre acte sans nostalgies vaines, mais, parce que ces situations nouvelles sont maintenant le terreau de l’évangélisation, elles invitent à poursuivre résolument l’annonce de la Bonne Nouvelle à vos compatriotes là où ils vivent.

Dans votre pays, le monde rural évolue profondément. En moins d’une génération, les conditions de production sont toutes différentes, le nombre d’emplois diminue, le peuplement de zones entières se réduit et même le paysage s’altère. Des activités nouvelles sont créées, mais elles ne peuvent suffire à donner du travail à ceux que la terre ne fait plus vivre, spécialement aux jeunes. Par ailleurs, l’arrivée de citadins à la recherche d’un habitat plus sain et plus abordable, ou bien d’un cadre convenant à leurs loisirs, recompose la société rurale sans la rendre toujours homogène.

Je n’ai pas à poursuivre l’analyse, vous la faites avec attention dans vos rapports. Mais je crois utile, par votre intermédiaire, d’encourager les chrétiens à prendre la mesure des problèmes humains que posent ces mutations. L’enseignement social de l’Église a maintes fois souligné que l’attention aux besoins des hommes fait partie des exigences évangéliques[1]. Parlant de celui qui se soumet à la loi de charité, le Cardinal de Lubac a justement écrit: «Il lui est impossible de ne pas chercher à établir entre les hommes des rapports plus conformes à la réalité chrétienne»[2]. Il n’est pas hors de propos, pour les chrétiens et leurs pasteurs, fidèles au sens de la solidarité qui a toujours été une qualité des ruraux, de demander que l’on n’en reste pas aux dimensions économiques et financières des problèmes, de montrer les tâches à assumer pour que le tissu social reste vivant. D’un point de vue humain et fraternel, on doit prendre en considération les souffrances de ceux qui se trouvent comme dépossédés, la condition particulière des personnes âgées, des femmes, des jeunes. C’est aussi un devoir de respecter la nature et de préserver la vitalité d’espaces qui risquent une véritable désertification.

3. En même temps que le monde rural s’affaiblit, les ensembles urbains s’agrandissent. Cette évolution traduit de réels dynamismes, une créativité économique et culturelle. Cependant, il faut constater qu’une partie importante des habitants des villes n’y trouvent pas des conditions de vie épanouissantes; ils sont même fragilisés et ils ont du mal à retrouver l’appui d’un réseau de relations personnelles. Les écarts de revenu, les grandes différences dans l’habitat, les chances très inégales de trouver du travail, tout cela entraîne des discriminations ou des exclusions. D’autre part, les rythmes de vie sont tendus et laissent moins de place à la vie de famille et aux relations humaines. Un sentiment d’incertitude et l’absence de repères moraux entraînent beaucoup de replis individualistes. La corruption fausse certaines activités économiques. Devant la précarité de leur situation, trop de jeunes cherchent des compensations dans diverses formes de violence ou cèdent à l’attrait de la drogue. On voit se multiplier les tentations de se réfugier dans l’irrationnel ou dans les regroupements de type sectaire.

Certes, le caractère sommaire de ce bilan le rend trop sévère. Il laisse dans l’ombre bien des réussites individuelles et beaucoup d’initiatives, de la part des pouvoirs publics comme des associations privées, pour faire face aux carences de la vie urbaine. Mais, là encore, l’Église ne peut pas ignorer ce qui provoque le plus de souffrances ou ce qui dégrade la personne humaine. Je sais que les communautés chrétiennes, même pauvres, s’efforcent de vivre une solidarité active et chaleureuse avec leurs frères et sœurs les plus démunis, en pratiquant avec eux un partage généreux tant du point de vue matériel que culturel et spirituel. Elles contribuent ainsi de manière appréciable à humaniser ces milieux de vie. En évoquant devant vous les actions qui traduisent concrètement l’amour du prochain, je vous encourage à promouvoir encore ces formes authentiques de témoignage du respect de tout homme dans l’amour qui est la loi évangélique.

4. Vous avez souvent fait état d’un élément actuellement important dans la société de votre pays, comme ailleurs en Europe, et qui provoque bien des débats et des tensions. Je pense à la présence de nombreuses personnes d’origine étrangère parmi vous. Les uns ont été appelés pour travailler, d’autres sont venus attirés par une prospérité qu’ils croyaient accessible, d’autres encore, ne pouvant plus vivre en sécurité dans leur pays, cherchent refuge dans une nation qui a une tradition d’hospitalité. Depuis quelques années, notamment en raison des difficultés économiques qui retentissent sur l’emploi, on constate ce qu’il faut bien appeler des réactions de rejet, visant surtout les immigrés ou les réfugiés placés dans des situations précaires. Vous avez justement attiré l’attention à maintes reprises sur ce qu’il y a de choquant dans des attitudes discriminatoires. En effet, on ne peut accepter la méconnaissance des droits humains de certains, le maintien des séparations familiales, la rupture de la solidarité élémentaire avec l’étranger à qui l’on fermerait ainsi la voie de l’espérance.

Certaines craintes se concentrent sur la proportion considérable de fidèles de l’Islam parmi les immigrés en France. Les événements de l’an dernier ont montré, me dites–vous, que des chrétiens peuvent rencontrer leurs frères musulmans dans une même recherche de la paix qui a sa source dans le Dieu unique. Il faut rappeler la position du Concile Vatican II: le respect pour les croyances non chrétiennes et ce qu’elles comportent de positif, la possibilité de défendre avec leurs fidèles des valeurs essentielles, le désir de les rencontrer en vérité. Aussi convient–il de continuer à encourager le dialogue interreligieux avec les Musulmans, en toute clarté. Il s’agit de mieux connaître leurs valeurs spirituelles et morales, et, en même temps, de leur permettre d’avoir une compréhension juste de la foi et de la vie de l’Église qu’ils côtoient. À cet égard, il est utile que des prêtres et des laïcs soient bien préparés à mener ces dialogues ou à conseiller les communautés les plus impliquées; les éducateurs sont particulièrement concernés dans les lieux où les jeunes de diverses appartenances religieuses doivent apprendre à vivre ensemble amicalement, tout en restant fidèles à leur foi et à ses exigences propres. Les orientations récemment publiées par le Saint–Siège sur le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Évangile aideront à situer avec justesse les relations entre croyants.

5. Chers Frères, les «choses nouvelles» de la société de votre pays que je viens d’évoquer s’accompagnent de ce qui fait votre préoccupation majeure, la réduction du nombre de fidèles actifs dans l’Église, la progression de l’indifférence religieuse ou de l’incroyance, et aussi l’attrait grandissant de certains syncrétismes. Vous en constatez la réalité chaque jour en même temps que la diminution de la pratique religieuse; cela touche les différentes générations, les jeunes en particulier; cela affecte la vie des familles et la vie publique. C’est pourquoi toute l’Église catholique, chez vous comme ailleurs, est invitée à s’engager dans ce que j’ai appelé la «nouvelle évangélisation», ce qui n’implique évidemment pas que l’on méconnaisse l’apostolat courageux et souvent fructueux mené jusqu’ici.

Il s’agit de prendre un nouvel élan sur la route apostolique. Il s’agit de rayonner toute l’ardeur de la foi en Jésus Christ, que nous avons reçue comme un don, et d’annoncer à nos frères et sœurs des villes et des campagnes l’amour de Dieu qui nous offre le salut en son Fils. Nous les appelons à former ensemble la communauté des fils adoptifs du Père infiniment miséricordieux. Nous agissons ainsi parce que nous aimons nos frères de ce temps, parce que nous connaissons leurs aspirations sincères, et parce que nous savons que Dieu appelle tous les hommes à entrer dans l’Alliance avec lui.

Chaque baptisé reçoit la mission d’être témoin, il faut le rappeler sans cesse. Mais il est clair également que le message ne peut être complètement porté et rendu crédible que par le Corps ecclésial dans sa cohésion. Aussi est–il plus nécessaire que jamais d’animer des communautés à taille humaine: dans les zones rurales, malgré les regroupements nécessaires, il est souhaitable que les communautés locales ne se dissolvent pas; dans les villes, on encouragera la vitalité de communautés aussi bien insérées que possible dans les quartiers, et qui soient des foyers chaleureux. Les paroisses demeurent les lieux où des fidèles de sensibilités différentes communient dans la même liturgie, où les mouvements spécialisés se rencontrent, où les activités de catéchèse, de formation, de préparation aux sacrements, d’apostolat ou d’entraide se coordonnent sans cloisonnements. Que tous les fidèles sachent constituer, dans la joie de leur communion, le reflet unifié du visage du Christ, afin d’être ensemble un signe authentique de sa présence! Et je n’oublie pas les grands rassemblements ecclésiaux, assez nombreux récemment dans vos diocèses, utiles pour la convivialité de l’ensemble des fidèles, la connaissance mutuelle de leurs initiatives et de leurs expériences, et la manifestation concrète de leur unité.

Il est une autre exigence pour cette évangélisation sans cesse renouvelée, celle de la clarté de la parole qui l’exprime. Nos contemporains ont besoin d’entendre l’annonce dans des termes qu’ils puissent saisir. L’un d’entre vous parle, à juste titre, de trouver un «langage catéchuménal» pour que les rencontres soient des dialogues réels au sujet de la foi explicitement proposée. Encouragez des recherches à la fois théologiques et spirituelles, culturelles et pédagogiques pour permettre aux membres de l’Église de répondre aux interrogations de nos frères et sœurs d’aujourd’hui, de leur faire découvrir la Vérité tout entière et de les inviter à conduire leur vie personnelle et sociale selon la lumière du Christ.

6. Au terme de cet entretien, je voudrais vous apporter mon soutien fraternel dans votre tâche pastorale. J’en connais les difficultés, je viens d’en évoquer certaines qui sont considérables. Mais je sais aussi que, dans vos diocèses, les ouvriers de l’Évangile travaillent avec enthousiasme et générosité; ils savent que «l’espérance ne déçoit point»[3]. Aux prêtres, aux diacres, aux religieux et aux religieuses, aux laïcs chargés de missions spécifiques, à tous les fidèles de vos diocèses, portez le salut cordial du successeur de Pierre et dites–leur mes encouragements pour leurs tâches et leur témoignage. Qu’ils fassent confiance à l’Esprit du Seigneur, Esprit d’amour et de vérité. Marchant avec le Christ, qu’ils puissent dire comme les disciples d’Emmaüs: «Notre cœur n’était–il pas tout brûlant...?». Je vous recommande à l’intercession de la Mère du Seigneur et des saints de vos diocèses et j’invoque sur vous tous la Bénédiction de Dieu.


[1] Cf. Paul VI, encyclique Populorum Progressio, n. 1.

[2] Catholichisme, ch. XII.

[3] Rm 5, 5.

 

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