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DISCOURS DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES DE L'EST DE LA FRANCE
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 25 janvier 1988

 

Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Soyez les bienvenus dans la maison de l’Évêque de Rome, vous qui avez la charge pastorale des diocèses de l’Est de la France.

Je remercie Monseigneur Eugène Lecrosnier, votre Président, pour la présentation qu’il vient de faire de votre région et des préoccupations que vous avez en commun. Comme vous l’avez dit, votre visite ad limina Apostolorum a pour premier objectif, en venant près des tombeaux de Pierre et de Paul, de raviver la grâce de votre ministère épiscopal. Et c’est une joie pour celui qui a reçu la charge de Pierre de vous confirmer dans votre mission apostolique.

Votre région, au cœur de l’Europe, dispose d’un patrimoine chrétien prestigieux, de ressources humaines, culturelles et éducatives remarquables. J’ai pu m’en rendre compte au cours de ma visite de 1988 dont je garde un vif et heureux souvenir. Vous soulignez que, dans certains de vos diocèses, la situation se modifie sensiblement sur le plan économique, et souvent elle se dégrade, provoquant notamment un chômage important; et la condition sociale d’une partie des travailleurs et de leurs familles devient précaire. Sachez que, avec vous, je porte ces soucis devant le Seigneur et que j’encourage les efforts des fidèles laïcs pour faire face avec détermination à ces graves et douloureux problèmes.

Dans le domaine pastoral, vous avez évoqué avec franchise l’ensemble des difficultés liées à ce qu’on peut appeler d’un mot la sécularisation. Cependant, si certains sont tentés par le découragement, la vitalité de vos communautés est réelle, même si elles sont peu nombreuses. Les signes d’espérance existent. Vos efforts pastoraux ne sont pas vains. Poursuivez–les sans relâche avec vos collaborateurs dans le sacerdoce, avec les diacres, avec les religieux et les religieuses, avec les laïcs responsables et tous les fidèles. Dites leur ma sympathie et ma confiance.

2. Vous le savez, je pense aborder différentes questions avec les groupes d’Évêques de France dont les visites se succèdent. Je voudrais parler aujourd’hui de la présence de l’Église et la vie des catholiques dans la cité. Du point de vue des relations institutionnelles avec l’État, par suite des circonstances historiques, deux de vos diocèses sont en régime concordataire, les autres sous celui de la séparation. Dans l’un et l’autre cas, législation et jurisprudence peuvent assurer à l’Église des conditions qui lui permettent, dans l’ensemble, de remplir librement sa mission spécifique.

Dans le cadre d’un État de droit, où diverses familles spirituelles ont leur place, que signifie la présence des membres de l’Église? Il convient de dissiper des malentendus qui apparaissent parfois dans l’opinion, lorsque l’on entend parler de revendications ou même de pressions de la part de l’Église. Dans votre société, en effet, une large majorité affirme son appartenance au catholicisme; même avec des degrés différents d’adhésion et de pratique, c’est là un fait qui correspond bien à l’héritage d’un peuple qui a reçu le baptême il y a quinze siècles et dont l’esprit et la culture ont été profondément marqués par le message évangélique. Les fidèles laïcs répondent à leur vocation quand ils prennent une part active aux tâches jamais achevées de l’humanisation de la société, en demeurant fidèles à ce qu’ils ont de plus précieux: les valeurs spirituelles et humaines qu’ils ne pourraient dissocier sans dommage.

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la liberté religieuse: non pas seulement la liberté d’un «jardin secret», non pas seulement la liberté du culte et celle de donner une éducation inspirée par les valeurs chrétiennes, mais aussi la liberté civile et sociale qui assure aux institutions religieuses les moyens concrets d’exercer leur mission. Il y a, certes, distinction entre les domaines civil et religieux, mais non pas séparation: cela concerne les mêmes personnes. Le respect que nous portons aux convictions d’autrui suppose que les nôtres soient également respectées. La pluralité des conceptions de la vie ne peut supposer la marginalisation ou la dépréciation de celles d’une grande partie des citoyens de la nation.

À cet égard, j’apprécie les efforts d’analyse que font les Évêques, souvent par leurs Commissions spécialisées, et les fidèles dans les Mouvements catholiques ou personnellement; cela vous permet, face aux problèmes de société, d’en appeler clairement à la conscience de vos compatriotes. Et, lorsque c’est possible, de telles prises de position pourront faire l’objet d’une réflexion utile avec des croyants appartenant à des traditions différentes; cette démarche constitue d’ailleurs un élément significatif du dialogue interreligieux.

3. Au fond, ce qui inspire le fidèle de l’Église dans sa participation à la vie de la cité, c’est sa conception de l’homme, conscient de ses responsabilités dans la communauté, et solidaire de la famille humaine entière. Le chrétien trouve dans sa foi un éclairage sur le sens de la vie et des points de repère pour son action. La foi fonde sa liberté par rapport aux divers pouvoirs qui s’exercent, comme le pouvoir de l’argent ou l’attrait des plaisirs et des biens de consommation. Inspiré par la loi évangélique qui l’appelle à l’amour de Dieu et du prochain, il se doit de distinguer, mais ne peut cloisonner les divers aspects de son existence. Les requêtes morales ne peuvent être écartées a priori quand il s’agit de la dignité de la personne, de celle du travail et des relations économiques, de l’éducation, de la santé, du soutien aux plus démunis. Au nom de ces valeurs, il existe un droit au discernement, voire à la critique, notamment devant nombre de prouesses de la science et de la technique.

Et faut–il ajouter que le disciple du Christ a bien conscience que sa conception exigeante de l’homme résulte d’une vocation, qu’elle constitue un idéal vers lequel tous doivent tendre, avec l’aide de Dieu, alors même que la faiblesse et les fautes de chacun entravent cette marche. Mais reconnaître l’imperfection avec humilité ne conduit pas à renoncer à rechercher la perfection. Reconnaître l’existence de maintes transgressions morales ne justifie aucunement l’amoralisme. En somme, nous ne désirons pas afficher une supériorité, nous désirons nous unir avec nos frères et sœurs de bonne volonté pour défendre la véritable grandeur de l’homme.

4. Ces considérations expliquent la résolution des fidèles à prendre une part active à tout ce qui compose et exprime la culture de la société dont ils font partie. On pense en particulier aux moyens de communication sociale que leur audience place au premier plan dans l’opinion publique, car ils sont à la fois le reflet du milieu et des agents d’influence. Leur crédibilité et leur action sur les mentalités font l’objet de débats constants, et il est salutaire qu’il en soit ainsi. On attend évidemment d’eux qu’ils cherchent constamment à être vrais, dignes, humains. Leur déontologie, surtout pour ceux qui sont présents dans presque tous les foyers, leur impose de respecter toutes les convictions et de ne pas ignorer certaines d’entre elles. Vous avez été amenés à réagir, à juste titre, soit devant le silence observé parfois sur des éléments significatifs dans la vie chrétienne, soit devant les déformations ou la dérision envers ce qui tient le plus au cœur des croyants. Certains déclarent ne pas vouloir subir la pression de l’Église, mais, dans le même temps, altèrent sa pensée. Au nom de la simple équité, on est en droit de demander aux médias de prendre en considération, avec objectivité, ce que l’on croit. Et vous avez d’autant plus à y veiller que, plus ou moins directement, on tend à présenter des comportements discutables comme admis ou normaux, notamment auprès des jeunes encore peu aptes à se forger une opinion libre de ces sortes de pressions. Je n’oublie évidemment pas le travail de qualité accompli par les médias chrétiens, presse écrite nationale ou régionale, radios diocésaines ou programmes audio–visuels; mais leur existence ne justifie pas que, dans une société pluraliste, des moyens de communication sociale d’audience générale ignorent des convictions chrétiennes essentielles ou même manifestent de l’hostilité à leur égard.

Parmi les préoccupations que vous m’avez confiées à propos de la société, je voudrais en évoquer une autre brièvement. La tendance paraît devenir de plus en plus forte de modifier les rythmes de vie soit pour des raisons économiques, soit pour faciliter les loisirs. De ce fait, la fonction traditionnelle du dimanche, jour du Seigneur, tend à s’estomper: banaliser les activités professionnelles ce jour–là ne revient–il pas à entraver la vie des familles dont de plus nombreux membres devraient travailler, et aussi à enlever à beaucoup de personnes un temps disponible précieux pour la vie liturgique, pour la reprise spirituelle, pour des rencontres libres et désintéressées ou pour la culture personnelle? Et, dans un domaine voisin, la continuité des jours d’étude pour les enfants, que beaucoup préconisent, rend très difficile, pour les familles et pour les communautés, la tâche de l’éducation religieuse. La loi a défini le droit à jouir d’un temps convenable réservé à la formation religieuse; les changements dans les emplois du temps ne doivent pas faire de ce droit un principe concrètement inapplicable, ne serait–ce qu’en réservant des moments de la semaine où les enfants ne sont pas réellement disponibles pour une activité pédagogique adaptée et sérieuse. J’approuve les efforts que vous menez pour conserver aux familles et à l’Église la possibilité effective de donner aux enfants une formation chrétienne, et aussi pour leur offrir une semaine scolaire plus équilibrée.

5. En considérant l’engagement des membres de l’Église dans la cité d’une manière plus générale, je soulignerai tout ce que vous faites pour développer l’esprit de solidarité et de service. Les préceptes mêmes de l’Évangile y invitent tous les disciples du Christ. Pratiquement, cela les entraîne à un sursaut de civisme, au sens le plus noble du terme. À l’individualisme ou au repli sur soi, fréquemment dénoncés, s’oppose l’exigence du bien commun; et cette notion perdrait toute portée réelle si elle n’était qu’un principe sans applications quotidiennes réfléchies. Les responsabilités publiques, électives ou administratives, de même que les responsabilités économiques, n’ont d’autre légitimité que ce bien de la communauté entière. Il faut y travailler avec toutes les ressources de l’intelligence et du cœur.

Les chrétiens, tout particulièrement, ne peuvent se résigner à voir pérennisés ou aggravés les maux dont souffrent trop de leurs frères. Encouragez–les sans cesse à déployer tous leurs talents pour vaincre la passivité face à la plaie du chômage, pour faire accéder le plus grand nombre au travail, ce qui compte pour la dignité de la personne et de sa famille. Il y a beaucoup à faire; dans un pays tout de même riche si on le compare à l’ensemble du monde, il faut mobiliser les énergies et créer les solidarités qui réduiront l’emprise de la pauvreté et l’extension de la précarité. On ne peut laisser des jeunes sans espérance, des adultes désemparés. Les personnes handicapées, les aînés, les malades ont le droit d’être entourés, soignés et assurés de conditions de vie convenables. L’étranger doit être accueilli et trouver asile quand il est déraciné.

Les contraintes économiques ne doivent pas entraver l’épanouissement des familles et leur désir de donner la vie, ni les priver des moyens d’élever leurs enfants. Beaucoup de créativité doit être engagée pour améliorer l’éducation des jeunes et leur assurer des formations adaptées.
Je ne fais qu’énumérer quelques–uns des devoirs qui s’imposent pour bâtir une société vraiment humaine. Je sais que beaucoup de chrétiens œuvrent avec désintéressement dans ces domaines et qu’ils prennent utilement des responsabilités bénévoles. Qu’ils entraînent leurs compatriotes dans une convivialité ouverte! La doctrine sociale de l’Église les invite à servir leurs frères et sœurs par amour pour le Christ et pour l’homme.

6. Chers Frères, en évoquant ces aspects de votre présence dans la société de votre pays, je voulais avant tout vous encourager dans l’exercice de vos responsabilités de guides de la communauté des croyants et de veilleurs dans la communauté humaine. Pour être dignes de foi, que les disciples du Christ méditent, dans la prière, la Parole reçue de Lui et qu’ils laissent l’Esprit du Seigneur orienter en vérité leur pensée, leur action et toute leur vie!

Avec vous, je prie le Seigneur pour les diocèses qui vous sont confiés et je demande l’intercession des saints de votre terre. De grand cœur, je vous donne, ainsi qu’à tous ceux qui forment vos communautés, ma Bénédiction Apostolique.

 

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