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Lettre du pape paul VI
AU CARDINAL
MICHELE PELLEGRINO
À L'OCCASION DES CÉLÉBRATIONS POUR LE CENTENAIRE
DE LA MORT DE L'ABBÉ JACQUES-PAUL MIGNE

 

Monsieur le Cardinal,

Nous avons pris connaissance avec la plus vive Satisfaction du programme des célébrations prévues pour le centenaire de la mort de 1'Abbé Jacques-Paul Migne, et notamment de la Table ronde internationale organisée par le Comité international que vous présidez, qui aura lieu tout prochainement à Chantilly sous le patronage de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Il était bien juste que fût solennellement célébré le souvenir de ce prêtre insigne, dont la courageuse entreprise d'édition a rendu et continue à rendre de si grands services à 1'Eglise universelle. De grand cœur nous nous associons à cette commémoration et félicitons ceux qui en ont eu l'initiative et assumé l'organisation.

En publiant la «Bibliothèque universelle du clergé», l'abbé Migne se proposait de rassembler toutes les œuvres d'exégèse, de théologie, de patristique, d'éloquence sacrée et de spiritualité, éparses dans diverses éditions particulières, difficilement accessibles et par surcroît trop coûteuses pour des bourses moyennes. Il était persuadé que le renouvellement religieux - que, comme prêtre, il avait souverainement à cœur - commence par l'illumination des esprits, et que celle-ci suppose, à son tour, qu'on puisse disposer, facilement et en abondance, d'œuvres de saine et profonde doctrine. Il voulut donc, avec une remarquable intuition, et sans se laisser arrêter par d'innombrables difficultés - y compris le terrible incendie qui, le 12 février 1868, réduisit en cendre son imprimerie du Petit Montrouge - mettre à la disposition et à la portée de tous, et surtout du clergé et des laïcs cultivés, les trésors de la doctrine ecclésiastique ancienne et moderne. Et il réussit, par sa ténacité, à mener à bien une partie considérable de son immense programme.

On vit sortir de sa typographie, avec une prodigieuse rapidité et à des prix abordables pour toutes les bourses, des centaines et des centaines de volumes: le «cours complet» des traités d'exégèse et de théologie, la collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, une encyclopédie théologique, les œuvres complètes de sainte Thérèse d'Avila, du Cardinal de Bérulle, de saint François de Sales, de Bossuet, de Fénelon, pour ne mentionner que celles-là. Mais de toutes ces collections, les deux plus célèbres, les plus universellement connues et consultées restent sans contredit la Patrologie latine, en 222 volumes, et la Patrologie grecque, avec traduction latine, en 161 volumes. L'ampleur de cette publication dépassait de loin toutes les collections précédentes et, débordant les limites de l'ère patristique, arrivait, pour la première collection, jusqu'à notre prédécesseur Innocent III, et pour la seconde, jusqu'au Concile de Florence.

L'infatigable éditeur montrait ainsi, par l'éloquence des faits, que pour un chrétien, l'illumination de l'esprit passe par la Tradition, et que la connaissance de la Tradition passe par l'étude des Pères de 1'Eglise. Son exemple avait et a encore valeur prophétique. De fait, l'Eglise, dans sa fonction de «colonne et soutien de la vérité» (1 Tim. 3, 15), s'est toujours référée à l'enseignement des Pères, considérant leur accord comme une règle d'interprétation de la Sainte Ecriture. Saint Augustin avait de son temps formulé cette règle (Cfr. S. AUGUSTINI De baptismo, 4, 24, 31; MIGNE, PL 43, 174) et l'avait appliquée (Cfr. IDEM Contra ]ulianum, 2, 10, 33; MIGNE, PL, 44, 697). Vincent de Lérins, à son tour, l'avait longuement exposée dans son Commonitorium Primum (MIGNE, PL 50, 637-673). Elle fut reprise et solennellement proclamée par le Concile de Trente (Concilium Trident., ed. Goerresiana, V, Acta II, 91 sq.) et par le premier Concile du Vatican (Collectio Lacensis, 7, 251).

Le récent second Concile du Vatican s'est fait, si l'on peut dire, plus insistant encore sur ce point. Car après avoir affirmé que «l'enseignement des Pères atteste la présence vivante de la Tradition, dont les richesses passent dans la pratique et dans la vie de 1'Eglise qui croit et qui prie» (Dei Verbum, 8) il a recommandé l'étude des Pères «pour une intelligence toujours plus profonde des Saintes Ecritures» (Ibid. 23), pour l'enseignement de la théologie, qui doit montrer aux étudiants «l'apport des Pères d'Orient et d'Occident à la transmission et à l'approfondissement fidèles de chacune des vérités révélées (Optatam Totius, 16) pour une solide science sacerdotale (Presbyterorum Ordinis, 19), pour l'enrichissement de la prière officielle de 1'Eglise (Sacrosantctum Concilium, 92) et pour la recherche théologique dans les terres de mission (Ad Gentes, 22).

L'étude des Pères, d'une grande utilité pour tous, apparaît d'une impérieuse nécessité pour ceux qui ont à cœur le renouvellement théologique, pastoral et spirituel promu par le récent Concile, et qui veulent y coopérer. Après les apôtres, 1'Eglise a grandi, comme le dit saint Augustin, grâce aux Pères, qui la plantèrent, l'irriguèrent, l'édifièrent, la nourrirent (S. AUGUSTINI Contra Julianum, 2, 10, 37; MIGNE, PL 44, 700). Elle continuera à croître en bénéficiant de leurs richesses. Celles-ci sont d'une grande variété, mais elles comportent des propriétés constantes, qui sont précisément à la base de tout renouvellement authentique dans l'ordre spirituel et théologique: l'attachement inébranlable à la Foi, le désir ardent de scruter le mystère du Christ, le sens profond de la Tradition, l'amour sans borne pour 1'Eglise. Ces sentiments, qui animent les Pères de l'Eglise, étaient aussi ceux de l'abbé Migne.

Pour porter un jugement équitable sur ce grand serviteur de l'Eglise, il faut bien comprendre le caractère spécifique de son ouvre. Le but qu'il se proposait était de transmettre le patrimoine patristique dans l'état où il le trouvait de son temps. On ne saurait donc lui reprocher de n'avoir pas préparé des éditions scientifiquement irréprochables. Ce n'était pas son but. Il recueillait les meilleures éditions alors existantes et se contentait de les publier à nouveau, aidé dans son choix par un collaborateur de haute compétence, le futur cardinal Pitra. Mais par le seul fait de rassembler en un corpus les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques, Migne a grandement favorisé l'étude scientifique et les entreprises ardues d'éditions critiques postérieures. Aussi la Table ronde de Chantilly, en mettant à son programme le problème de la transmission et de l'édition des textes patristiques, rend-elle par là-même un hommage indirect au magnanime éditeur qui a tant Contribué à préparer ces possibilités de travail scientifique.

Nous voudrions saisir cette occasion pour encourager très vivement ceux qui, au prix d'un labeur souvent austère, préparent aujourd'hui ces éditions critiques et utilisent sagement le progrès des sciences pour arriver à une connaissance toujours plus exacte des textes. Ils rendent par là un signalé service à 1'Eglise. Ces encouragements, Nous tenons à les étendre à tous ceux qui se consacrent à une œuvre non moins utile: celle de la diffusion des textes patristiques. Avec les heureux progrès de la culture, un nombre croissant de chrétiens manifestent aujourd'hui le désir de connaître directement les sources, et sont grandement reconnaissants à ceux qui leur fournissent, dans des éditions accessibles à tous, ces trésors de foi et de doctrine de la grande Tradition catholique.

Migne fut en ce domaine, qui était proprement le sien, un précurseur vraiment génial, et ceux qui, par la divulgation des textes patristiques, marchent dans les voies qu'il a ouvertes, méritent, eux aussi, à un titre très spécial la reconnaissance de 1'Eglise. La collaboration si féconde de l'abbé Migne et du futur cardinal Pitra peut en outre servir de modèle à la concertation si désirable entre éditeurs et érudits. On ne saurait oublier enfin qu'un des plus grands mérites de Migne a été son souci d'englober dans son immense entreprise les témoins de la tradition des Eglises Orientales, et de les mettre, grâce à une traduction latine, à la portée du plus grand nombre de ses lecteurs. Là encore il se montrait précurseur et annonçait déjà cet œcuménisme positif et constructeur pour lequel on remarque aujourd'hui tant de sensibilité dans l'Eglise, surtout depuis le second Concile du Vatican. Nous aimons à faire remonter à l'abbé Migne une part du mérite de ce climat nouveau dans les relations avec nos frères séparés d'Orient, heureuse évolution, qu'atteste d'ailleurs éloquemment leur empressement à s'associer à ces fêtes centenaires.

En appelant les meilleures grâces sur tous ceux qui participent à la Table ronde internationale de Chantilly, et en témoignage du vif intérêt que Nous portons à leurs travaux, Nous leur envoyons à tous, et d'abord à Votre Eminence, une large Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 10 Mai 1975.

PAULUS PP. VI

 



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