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LETTRE DU CARDINAL JEAN VILLOT,
AU NOM DU PAPE PAUL VI, AU DOCTEUR PAPOLA,
PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES ASSOCIATIONS DE MÉDECINS CATHOLIQUES

 

Cher Docteur PAPOLA,

Le Saint-Père a appris, avec un très profond intérêt, que la Fédération Internationale des Associations Médicales Catholiques avait choisi, pour thème de son quatorzième Congrès Mondial: "Qualité de la vie dans une société en transformation".

Il y a, peu de thèmes aujourd'hui qui soient aussi pressants. Malgré la sensibilité aux questions des droits de l'homme qui caractérise la civilisation contemporaine — et parmi ces droits, celui à la vie est l'un des plus sacrés — notre époque est, paradoxalement, tout aussi familière avec les agressions à la vie et à la dignité de la vie.

L'homme moderne a atteint des niveaux de progrès qu'il n'aurait même pas pu imaginer il y a un siècle mais il est assailli de doutes sur la valeur de ces progrès matériels. Ces progrès, se demande-t-il, aident-ils vraiment chacun à vivre plus profondément, plus authentiquement une vie pareille à celle que doit vivre un être humain ou, par contre, n'étranglent-ils pas plutôt les possibilités authentiquement humaines de vie? Et comment se fait-il que ce progrès soit le privilège de ce qui, en dernier ressort n'est qu'une portion très limitée du genre humain, alors que de vastes secteurs continuent à vivre une existence inhumaine?

En outre la science a fourni les moyens de prolonger la vie dans des conditions tenues normalement pour mortelles ou modifiant la qualité mentale ou physique de la vie. Et ceci soulève la question de savoir dans quels cas il est obligatoire ou convenable d'intervenir et, parmi les moyens disponibles actuellement, quels sont ceux qu'il faut choisir en gardant pour objectif la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et son équilibre psychosomatique. Ces questions intéressent tout le monde, les individus et les familles aussi bien que ceux qui opèrent dans les domaines de l'économie, de la sociologie, de l'écologie, de la science, de la technologie, de l'information, de l'éducation, de la politique sur les plans national et international. Ces questions ne sauraient pas davantage être ignorées de ceux qui ont la responsabilité des législations et planifications gouvernementales.

Parmi les groupes concernés, les médecins ont une très grande importance. Ces "protecteurs, défenseurs et de l'humanité" comme le Saint-Père les a récemment qualifiés dans son Message pour la XIème Journée Mondiale de la Paix, sont à même d'estimer que les progrès scientifiques dans les différentes spécialités de la médecine sont un instrument à utiliser au service de la qualité de la vie. Sous ce jour, aucun médecin, conscient de sa mission, ne saurait refuser de tenir compte des progrès de la science médicale

Les questions abordées ci-dessus appartiennent toutefois, en premier lieu, à l'ordre moral et religieux. Ce serait aller vers une notion gravement erronée de la qualité de la vie et une détestable pratique, si l'on manquait de reconnaître que cette notion a dans son vrai centre une dimension éthique et même une dimension théologique.

Sans aucun doute, c'est l'omission de ces dimensions essentielles, et les fausses conceptions de la vie qui en découlent, qui amènent trop fréquemment l'évocation de "la qualité de la vie" pour justifier des principes idéologiques, des normes, des programmes et, ensuite, des initiatives concrètes qui assaillent la dignité même de la vie. On en trouve des exemples dans l'avortement provoqué, dans l'infanticide, l'euthanasie, les tortures et autres pratiques similaires.

D'autre part, la foi du médecin catholique — qui est enracinée dans la Parole de Dieu transmise par les Ecritures, soutenue par l'enseignement de l'Eglise et vécue dans la communauté ecclésiale — lui inspirera toujours une conception exacte et une pratique ennoblissante de la véritable "qualité de la vie".

Il sait que la vie humaine est un don que le Seigneur nous a fait pour que nous accomplissions notre devoir de service et d'amour parmi nos frères et que, dans notre existence terrestre et dans la vie à laquelle il nous a destinés, nous le glorifions dans son Fils Jésus-Christ. Les premières pages des Ecritures nous présentent la vie comme venant de Dieu qui a créé l'homme à son image et a voulu que tout homme participe à sa vie divine (cf. Genèse 1 et 2). Ce plan divin a été révélé toujours plus clairement dans l'histoire du salut puis a été accompli en Jésus-Christ, l'Agneau qui a donné la vie et conduit aux sources de l'eau vive (Ap 7, 17).

La vérité pure et simple sur le sens et le but de la vie au sujet de quoi nous sommes invités à réfléchir sans cesse empêche toute espèce de pessimisme à l'égard de la vie. Elle nous enseigne que même la souffrance a une signification et que la mort n'est pas la fin ou la destruction de l'être mais au contraire une participation au mystère de Jésus qui a dit de lui-même "Je suis la vie" (Jn 11, 25). Ceci nous montre que le spirituel a le pas sur le matériel et que la prospérité, l'abondance et le plaisir ne sont pas des biens absolus. Il en résulte aussi qu'il est interdit de détruire la vie ou d'utiliser celle des autres selon notre propre vouloir.

Toutefois, bien que ce soit Lui qui ait donné la vie. Dieu a confié à l'homme, à la famille et à la société la fonction de développer les qualités intrinsèques, morales et physiques, de chaque individu. C'est dans le cadre général de cette fonction que prend place la mission du médecin de prévenir ou corriger, par ses conseils et son art, les déviations affligeant la personne humaine, de l'aider à faire face à l'épreuve de la souffrance et de la mort elle-même, sans avoir recours, toutefois à l'administration excessive ou nuisible de médicaments affectant l'esprit, et enfin d'éduquer le public à éviter une consommation inconsidérée de produits pharmaceutiques.

Le rôle attribué à l'être humain est d'"avoir autorité" sur le monde (Gn 1, 28). Personne ne devrait imiter le mauvais riche de la parabole évangélique qui ne prit pas soin du pauvre homme nommé Lazare (cf. Lc 16, 19-31). Mieux, il est du devoir de chacun de s'employer à savoir si tout le monde a les moyens de vivre une authentique vie humaine. Les meilleures conditions de vie rendues possibles aujourd'hui par le progrès doivent encourager à l'accomplissement des devoirs et à l'acquisition de la perfection que Dieu a déterminés pour chacun de nous.

Comme médecins catholiques vous êtes parfaitement conscients des grandes responsabilités que vous avez assumées à l'égard de la santé physique et mentale de ceux qui se sont confiés à vos soins. Le Saint-Père désire que je vous renouvelle ici l'expression de son estime, telle qu'il l'a manifestée dans son Message pour la XIème Journée Mondiale de la Paix. Mais vous savez aussi que ni la maladie, ni les déformations organiques d'une personne, ne la privent de sa dignité humaine ou de ses droits inaliénables à la vie et que, pour ce motif, une vie humaine ne saurait être supprimée au nom de la "qualité de la vie".

En outre, le médecin est tenu de soigner son patient, non seulement avec compétence scientifique mais aussi avec amour et respect. Il sera souvent appelé à l'aider à prendre des décisions, parfois sérieuses. Ces décisions ne sauraient être basées sur des considérations émotives mais bien sur des critères objectifs. Ces médecins doivent ne pas perdre de vue les enseignements de l'Eglise qu'ils devraient pour cette raison, étudier attentivement. A cet égard, il est bon de rappeler ce qu'enseigne la doctrine catholique concernant le devoir du médecin d'utiliser tous les moyens à sa disposition dans une situation concrète afin de sauver une vie humaine. Bien qu'il puisse s'opposer aux moyens thérapeutiques classés comme "extraordinaires", spécialement quand il n'y a pas d'espoir d'améliorer sa condition, le malade ne peut refuser les moyens ordinaires et les services de base que la société et la science médicale devraient mettre à la disposition de tous.

C'est certainement parce qu'ils sont convaincus de l'importance d'une telle réflexion théologique que de nombreux médecins des différents continents ont répondu à l'invitation de la FIAMC et sont maintenant réunis en vue d'un profond examen de thèmes intéressant leur profession. Ils le font dans un esprit d'ouverture et de respect à l'égard des croyances et, de même, avec le désir d'être éclairés par la foi catholique qu'ils ont en commun et par l'inspiration originale qui en découle. Une telle réunion ne saurait manquer de confirmer les participants dans leur engagement en tant qu'êtres humains, que médecins, que chrétiens et catholiques.

C'est ce qu'il y a de plus important aujourd'hui dans un monde où toutes les sociétés sont dans une phase de transformation et dans lequel l'opposition ou la combinaison d'idées philosophiques et culturelles différentes au sujet du concept de la qualité de la vie ne se limite pas aux seules nations les plus développées. Le médecin catholique proclamera ses idées tant par la parole que par l'exemple de sa charité agissante.

Le fait que le Congrès Mondial de la FIAMC se tienne en Inde rappelle le dévouement et l'abnégation que tant de missionnaires, prêtres, religieux et laïcs de l'Inde et de tous les pays dits de mission ont démontré dans leur service aux malades. Ils sont un admirable exemple et témoignent de l'idée chrétienne de la valeur de la vie humaine, du respect qui lui est dû dès le moment de sa conception et même dans la maladie et à l'approche de la mort.

Le Saint-Père a aussi été satisfait d'apprendre que le Congrès se propose d'examiner également les problèmes sociaux en relation avec la qualité de la vie. L'activité du médecin ne saurait être isolée de celle de la société et spécialement de celle de la famille. Le Congrès de Bombay ne manquera pas d'approfondir de nombreux points qui ne sauraient que difficilement être abordés ailleurs: le programme mis au point par les organisateurs en est la preuve.

Le Saint-Père a l'espoir que ce Congrès permettra à tous les participants d'approfondir leurs convictions fondamentales et puis les propager dans les cercles médicaux. Il espère également que de nombreux médecins catholiques de partout dans le monde, stimulés et assistés par leurs associations médicales catholiques nationales et par la Fédération Internationale joindront leurs efforts à ceux d'autres professionnels (pharmaciens, psychologues, psychiatres, assistants sociaux, professeurs et de même, politiciens, ingénieurs, journalistes, etc.) afin que, grâce à l'intelligente et généreuse coopération de chacun, l'homme moderne ne risque jamais de devenir ce qui a été appelé, avec une cruelle ironie "un être condamné au progrès", mais qu'il soit, au contraire, un être pour qui le progrès est la source d'une vie authentiquement humaine.

Sa Sainteté vous exprime ces vœux dans l'espoir que vous vous efforciez, de toutes les manières possibles, d'en assurer la réalisation. Animé de ces sentiments il vous donne sa bénédiction apostolique, à vous Monsieur le Président, à l'Assistant Ecclésiastique, à tous les dirigeants et membres de la FIAMC et, en particulier, aux participants au quatorzième Congrès Mondial.

Avec mes meilleurs vœux personnels, je suis votre très sincère

 

+ Jean Card. VILLOT

 



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