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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AU CORPS DIPLOMATIQUE*

Jeudi 11 janvier 1973

 

Nous sommes très touché, Monsieur l’Ambassadeur, de ce discours que vous venez de tenir devant Nous, en votre nom et au nom de tous les membres du Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Il Nous plaît de Nous retrouver en cette assemblée, à l’image de la diversité du monde, réunie en ce moment pour Nous présenter les vœux de Nouvel An.

Vous avez évoqué ce qui caractérise, non seulement l’activité de notre pontificat, mais ces mobiles de l’esprit et du cœur qui déterminent nos attitudes journalières, donnent le ton à nos interventions, suscitent nos initiatives. Vous cherchez notre propre image, telle qu’elle se reflète, comme en un miroir, dans nos paroles et dans nos actes; vous scrutez le sens de la fonction que Nous cherchons à accomplir au milieu de vous tous, et à l’égard des peuples dont vous êtes ici les nobles représentants.

Et de fait, chers Messieurs, cette fonction n’est pas comparable à celle dont vous avez pu être les témoins en d’autres postes diplomatiques. Votre présence Nous provoque en quelque sorte à définir à nouveau le système des rapports originaux entre l’Eglise et les Etats, entre le Saint-Siège et le champ de l’activité internationale, constitué par les relations entre pays ou avec les plus hautes instances universelles.

A vrai dire, il n’y aurait point besoin, aujourd’hui, d’un long discours sur ce thème. L’an dernier, Nous avions longuement précisé le rôle particulier de l’Eglise, étrangère à l’action politique en tant que telle, et pourtant très présente à la recherche des hommes sur les chemins de la justice, bien plus, travaillant au service des hommes pour éduquer leurs consciences et collaborer, à sa manière, à la promotion culturelle et sociale. Aujourd’hui, sa place tout à fait originale dans le concert des nations n’est plus à démontrer. Tout homme de bonne volonté comprend que Nous n’avons d’autre ligne de conduite que celle tracée par notre divin Fondateur: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» (Matth. 22, 21).

Les deux ordres sont vraiment distincts, et c’est une chance de notre époque d’avoir redéfini cette distinction capitale du pouvoir temporel et du Royaume de Dieu que l’Eglise incarne, au-delà des vicissitudes et des nécessités de l’histoire qui ont pu amener les uns ou les autres à certaines confusions. En ce sens, Nous n’avons pas, en tant que porte-parole de l’Evangile, à indiquer les voies politiques, les moyens concrets, que les citoyens, en telle conjoncture précise, doivent utiliser pour réaliser le progrès de leur propre pays.

N’allez pas en conclure, chers Messieurs, que les deux ordres n’ont pas de rapports profonds à entretenir. Votre présence ici, fruit d’un désir commun de votre pays et du Saint-Siège, n’atteste-t-elle pas le contraire? C’est sur ce point que Nous voudrions aujourd’hui insister. Même si votre fonction d’ambassadeur près le Saint-Siège revêt un caractère singulier, vous impose une forme d’activité particulière, c’est un rôle très important, dont l’utilité se révèle chaque jour plus féconde, et qui correspond bien à la situation moderne.

Nous avons d’abord, bien entendu, à mieux tracer les frontières de notre compétence respective. Vous pouvez aussi observer, en témoins amicaux, les positions ou les lignes d’action du Saint-Siège, pour vous en faire l’écho auprès de vos gouvernements. Nous avons surtout à collaborer ensemble au bien commun de chacune de vos patries et de l’humanité entière. Telle est la perspective que Nous nous permettons d’offrir à votre compréhension et à vos possibilités d’action.

En ce sens, vous le savez, Nous ne sommes pas neutre. Nous voulons dire: l’Evangile Nous interdit d’être indifférent lorsque sont en cause le bien de l’homme, sa santé physique, l’épanouissement de son esprit, ses droits fondamentaux, sa vocation spirituelle; de même lorsque les conditions sociales subies par une population mettent ces biens en péril, ou encore lorsqu’une Institution internationale a besoin d’être appuyée pour jouer le rôle humanitaire qu’on attend d’elle.

Le Saint-Siège, comme témoin actif et organe central de la grande famille catholique, accueille alors avec bienveillance les confidences, les souhaits, les projets, dont vous voulez bien lui faire part. Il vous sait gré aussi de faire connaître à cœur que vous représentez ses propres vœux qui sont ceux de la conscience chrétienne, cependant qu’il contribue lui-même, par les divers moyens dont il dispose, y compris ceux des communications sociales, à éduquer, dans ce sens, le cœur des hommes. Ces rapports, noués librement et au plus haut niveau entre l’Eglise et la société civile, apparaissent dès lors comme une forme nouvelle de présence de l’Eglise au monde, dans la ligne de la Constitution conciliaire «Gaudium et Spes». Une telle présence exclut subordination, concession, compromis ou confusion entre les deux institutions. Les relations qui s’établissent ici avec le Saint-Siège gardent comme but immédiat, bien sûr, le règlement des problèmes qui peuvent surgir entre l’Etat et la communauté chrétienne locale, même si cette communauté est très réduite. Mais on ne peut aujourd’hui en rester là. Il s’agit, dans le respect réciproque des compétences, d’assurer la conjonction des efforts visant à promouvoir les initiatives humaines et les œuvres sociales bénéfiques à tous. Tel nous apparaît l’un des buts actuels de la diplomatie pontificale.

Vous voyez donc ce que vous pouvez attendre de ce centre de l’Eglise. Il ne s’agit pas d’un marchandage d’intérêts, comme entre deux Etats dont les objectifs peuvent diverger ou s’opposer. Nous travaillons ici, vous et Nous, pour le bien spirituel et temporel des mêmes individus, de la même communauté. Et le Saint-Siège ne réclamera, vous le savez, aucun privilège, sinon des droits de la liberté religieuse.

Pratiquement, l’Eglise est engagée avec vous à rendre plus efficients les principes capables d’éclairer et de guider au mieux la vie en société de tous ces hommes dont le sort tient à cœur aux responsables des nations comme à l’Eglise. Or les mutations de la vie moderne bouleversent tellement les mœurs qu’il nous faut, les uns et les autres, regarder hardiment les questions nouvelles, et surveiller à chaque pas le chemin que nous prenons, car il pèse lourd sur l’avenir.

Comment, par exemple, garantir la liberté des individus et des groupes, encourager les initiatives libératrices, et maintenir en même temps les exigences du bien commun, ou plutôt donner le goût de ce bien commun à promouvoir? Comment établir ou rétablir la justice pour toutes les catégories sociales, sans que certaines ne demeurent lésées, ou du moins dans la misère, face à la prospérité des autres? Comment favoriser l’expansion économique, et en même temps permettre aux hommes de la maitriser, d’assurer un équilibre écologique, d’accorder son prix au progrès qualitatif des personnes, de leur esprit, de leur cœur, de leur âme? Comment adapter la législation aux légitimes aspirations du monde moderne et aux possibilités scientifiques nouvelles, sans que l’homme lui-même, la qualité de l’amour, le respect de la vie, la valeur de la famille, la responsabilité de la conscience humaine n’en fassent les frais, aujourd’hui ou demain? Tels sont, n’est-il pas vrai, les intérêts profonds que nous avons à garantir ensemble. Ce siège Apostolique n’aspire qu’à y contribuer, et vous êtes, Messieurs les Ambassadeurs, au premier rang de ce dialogue entre lui et les gouvernements de votre pays.

Vous pouvez, à côté de la recherche de ces principes communs, faire également ici l’expérience d’une fraternité appréciable, entre les divers pays du monde. Certains de ces pays connaissent entre eux des différends qui, certes, ne peuvent trouver leur solution au Vatican. Mais le niveau auquel se situent ici les relations avec l’Eglise, passionnée de paix et respectueuse de tous les droits, et plus encore la mise en présence du Mystère de la foi chrétienne, créent un climat qui devrait contribuer à rapprocher les cœurs, à les placer devant leur plus haute responsabilité, à préparer la paix.

En plus de cette atmosphère de fraternité, le Saint-Siège, vous le savez, est prêt à faire tout ce qui est en son pouvoir pour donner à la vie internationale une plus grande consistance organique. Il existe en effet un égoïsme international qui semble empêcher les Etats de traduire en action collective les bons sentiments de leurs peuples. Sur cette terre pourtant, le monde ne sera sauvé, c’est notre conviction, que par une solidarité croissante, au-delà des nationalismes ombrageux. Il faudra sans doute encore un long apprentissage pour apprendre aux nations à se respecter, à échanger dans la justice et dans la paix, à partager, à se tourner ensemble vers les objectifs prioritaires, voire à accepter, s’il en est besoin, le contrôle d’une autorité internationale. L’Eglise catholique, de par sa vocation, est particulièrement sensible à cette universalité. Si la concertation mondiale devait se ralentir ou s’atrophier, laissant les grandes décisions effectives aux mains de deux ou trois puissances, ce serait à nos yeux un recul et une menace. Les Institutions internationales, que l’humanité s’est enfin données, sont appelées, grâce à une représentation équitable de toutes les nations participantes, à exprimer et à mettre en œuvre la raison, le droit, la justice; à réaliser, avec la coopération de tous ou du moins d’une quasi-unanimité, une loi sévère et pacifique capable de régler les rapports internationaux (Cfr. Message pour la Journée de la Paix 1973: AAS 64, 1972, 757). Elles représentent à nos yeux, Nous n’hésitons pas à le redire, «le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale» (Discours aux Nations Unies, 4 octobre 1965: AAS 57, 1965, 878). Nous ne cesserons d’inviter les peuples à se hausser au niveau de ce bien commun universel qui correspond au dessein du Créateur du genre humain, et qui assurerait en définitive leur propre bien.

Faut-il citer un exemple? Le monde entier commence à s’émouvoir de la recrudescence de la violence: Nous parlons du terrorisme international. C’est un problème grave et urgent, qu’il appartient à tous les partenaires de résoudre ensemble, par une loyale approche, sans omettre d’attirer aussi l’attention sur les causes de ce phénomène, ses modes et ses mobiles. Mais qui oserait soutenir que la fin justifie les moyens, que la terreur peut être une arme pour les causes légitimes, que l’action violente contre les innocents sert valablement la cause qu’on estime bonne? Nous espérons qu’on saura trouver les moyens adéquats de se faire entendre et de préparer des remèdes efficaces, dans une large concertation.

Quant à l’Evangile, qui est la charte de l’Eglise, il contribue, c’est notre conviction et notre expérience, à mettre les hommes, non seulement sur le chemin de Dieu, mais sur la voie d’un humanisme plénier. Les valeurs morales auxquelles il éduque apportent un puissant remède aux maux qui défigurent le visage de l’humanité et qui atteignent son cœur: elles s’appellent vérité, justice, liberté, pardon, paix. Elles prennent leur source dans l’amour dont le dynamisme doit supplanter partout celui de la haine. Et elles apportent avec elles la confiance, bien plus, une espérance inébranlable: avec le meilleur de l’homme et le secours de Dieu, ce que nous souhaitons est possible. Pourquoi alors s’arrêter aux désillusions inévitables, se laisser décourager par certains faits, pourquoi attendre avant de reprendre patiemment les chemins de l’entente? Nous vous savons gré d’avoir rappelé cette espérance de notre ultime message: oui, la paix est possible.

Telle est, chers Messieurs, au plan temporel, la signification de ce Siège Apostolique et du dialogue amical qu’il entretient avec vos gouvernements, par votre intermédiaire; tel est aussi le sens de nos Représentations pontificales qui font pendant à vos Ambassades: aider le monde à ne faire qu’un, aplanir sans cesse les routes de son unité, de sa solidarité. Notre voix veut se faire l’écho de l’Evangile. Elle peut paraître faible, Nous le savons, elle est démunie des moyens qui sont entre les mains des Etats; mais elle n’est pas seule: avec elle s’élève celle de nos multiples Frères dans l’épiscopat, dont la mission - faut-il le rappeler? - est inséparable de la nôtre, et la voix aussi de ceux qui partagent la foi, l’espérance et la charité chrétiennes, et qui œuvrent, à leur place, au même témoignage.

A ce service de l’humanité, vous œuvrez, vous aussi, Messieurs les Ambassadeurs, dans un rôle que Nous estimons, honorons et encourageons. A travers vos personnes, Nous saluons respectueusement chacune de vos nations: Nous formons pour elles des vœux de bonheur et de paix, et Nous nous réjouissons de ce qu’elles prennent leur place active dans cette marche vers une Communauté humaine de plus en plus élargie et de plus en plus solidaire. A vous-mêmes, chers Messieurs, à vos familles, Nous présentons nos souhaits cordiaux au seuil de l’An Nouveau, invoquant sur votre mission l’assistance divine, et sur vos personnes les Bénédictions abondantes du Très-Haut.


*Version originale française dans:

AAS 65 (1973), p.35-41;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XI p.30-36;

ORf n. 3 p.1, 2;

La Documentation catholique, n.1625 p.109-111.



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