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LETTRE DU PAPE PIE XII
À M. CHARLES FLORY,
POUR LA XXXIVe SEMAINE SOCIALE DE FRANCE*

Nous avons lu avec grand intérêt votre rapport du 6 avril, dans laquelle vous Nous faites un exposé des travaux et du développement si dignes d'éloges des Semaines Sociales de France, et Nous présentez le programme de la prochaine session, qui doit se tenir à Paris.

Vous rappelez dans ce rapport que, comme Nous le savions déjà, Notre adresse à la Semaine Sociale de Strasbourg, l'an dernier, avait donné lieu à des controverses, certaines même de caractère politique : ce qui témoigne, semble-t-il, de l'indéracinable habitude qu'ont certains milieux de rechercher dans les directives données par les Papes des tentatives d'immixtion dans les questions actuelles de nature purement politique. En particulier Nos remarques sur la « nationalisation » furent interprétées dans ce sens. Or il s'agissait là en réalité d'une question d'un ordre plus élevé. Non point de la licéité morale de la nationalisation du point de vue du bien matériel de la nation : sa licéité sous ce rapport, lorsque le bien commun la réclame, avait déjà été traitée dans l'Encyclique Quadragesimo anno et par Nous-même dans Notre Allocution aux Associations de Travailleurs catholiques d'Italie le 11 mars 1945. La question qui par contre se posait, en relation immédiate avec l'objet de la Semaine Sociale de Strasbourg, était de savoir si la nationalisation offrait un moyen approprié de procurer à la nation l'union et l'esprit de communauté. Nous nous trouvions en présence de ce problème : développer le plus puissamment qu'il se pourrait les « unités » ou « sociétés coopératives » — car c'est d'elles qu'il s'agissait, comme le contexte le faisait clairement voir —, en prenant la parole sur ce sujet. Nous avions à cœur de promouvoir les petites et moyennes entreprises ; et Nous répétions simplement ce que Nous avions exprimé avec plus de détails dans d'autres circonstances : cela n'avait donc pas besoin de plus amples explications ; et cela se déduit d'ailleurs tout naturellement des principes de l'Église en matière sociale, tel qu'ils ont été de tout temps proclamés, indépendamment de toute conjoncture particulière de politique de partis ou de vocabulaire.

Il en va de même de Notre position à l'égard de l'organisation professionnelle ou « corporative », qui a été, elle aussi, tirée en sens divers dans les polémiques publiques, — peut-être, de la part de certains, pour avoir été mal comprise —. Elle aussi correspond identiquement à l'enseignement de l'Encyclique Quadragesimo anno et est au-dessus de tout reproche d'immixtion dans les affaires purement politiques du temps présent. Mais cette doctrine peut offrir à notre époque une leçon et une orientation hautement significatives. Par dessus la distinction entre employeurs et employés, qui menace de devenir toujours davantage une inexorable séparation, il y a le travail lui-même, le travail, tâche de la vie personnelle de tous en vue de procurer à la société les biens et les services qui lui sont nécessaires ou utiles. Ainsi compris, le travail est capable, en raison de sa nature même, d'unir les hommes véritablement et intimement. Il est capable de redonner forme et structure à la société devenue amorphe et sans consistance, et par là d'assainir à nouveau les relations de la société avec l'État. Lorsque, au contraire, on veut faire de la société et de l'État un pur et simple rassemblement de travailleurs, on méconnaît ce qui constitue l'essence de l'une et de l'autre, on ôte au travail son véritable sens et la puissance intime qu'il a d'unir, on organise en fin de compte non des hommes-travailleurs considérés comme tels, mais une gigantesque addition de revenus en salaires ou traitements. Le danger que l'État soit dominé par les forces économiques, au grand détriment du bien général, est exactement aussi grave dans ce cas, que dans celui où la conduite de l'État est soumise à la pression du capital.

De la prochaine session de Paris Nous approuvons avec satisfaction le thème : Le catholicisme social face aux grands courants contemporains; thème que Nous avons eu déjà bien souvent l'occasion de traiter, de vive voix et par écrit. Et Nous saluons de Nos vœux les meilleurs le programme qui en a été judicieusement établi. L'atmosphère paisible, imprégnée de dévouement à la foi et à la science, de cet Institut catholique, promet de favoriser l'étude et la mise au point approfondies de questions, qui, de nos jours, apparaissent malheureusement obscures, parce que livrées aux passions des foules, voire à celles de la rue.

Tous les sujets de conférences qui figurent au programme sont de conséquence et requièrent une urgente attention. Éclairer les conjonctures du présent par une connaissance sûre du passé est aussi important que préciser les principes permanents — lesquels s'éclairent de façon toujours meilleure et plus pénétrante, à chaque nouvel effort qui est tenté pour les mettre en œuvre et les appliquer aux circonstances en perpétuelle transformation —. Aussi vous souhaitons-Nous de recueillir de la réalisation des deux premières parties de votre programme une riche moisson.

Mais, considérant l'impatience avec laquelle l'humanité éprouvée aspire à trouver les voies d'une amélioration de son sort, vous avez, avec raison, prévu pour terminer une partie plus directement pratique, qui serait comme la conséquence logique de vos discussions et une conclusion apportant réponse à ce souhait. Nous voudrions pour Notre part souligner, au sujet de cette troisième partie, ce sur quoi tous les bons esprits tombent d'accord aujourd'hui, à savoir, que la question si importante de la distribution de ce qu'on appelle le produit social a déjà été traitée suffisamment. Ce qui requiert aujourd'hui l'attention avec plus d'urgence, c'est d'assurer la mise de ce produit à la disposition des hommes et d'en accroître la quantité, d'un mot le problème de la production.

Il ne suffit pas de répéter sans cesse le mot d'ordre, trop simpliste que : ce qui importe le plus, c'est de produire. La production se fait, elle aussi, par les hommes et pour les hommes. La production est par elle-même éminemment une question — et un facteur — d'ordre et d'ordre vrai entre les hommes. Or un juste ordonnancement de la production ne peut faire abstraction du principe de l'intervention de l'État, mis en lumière per Notre grand Prédécesseur Léon XIII : il le peut moins que jamais dans les circonstances actuelles. Mais d'autre part il est indispensable, précisément aujourd'hui où l'ancienne tendance du « laissez faire, laissez passer » est sérieusement battue en brèche, de prendre garde à ne point tomber dans l'extrême opposé; il faut, dans l'organisation de la production, assurer toute sa valeur directive à ce principe, toujours défendu par l'enseignement social de l'Église : que les activités et les services de la société doivent avoir un caractère « subsidiaire » seulement, aider ou compléter l'activité de l'individu, de la famille, de la profession. Puisse la troisième partie de votre Semaine se développer dans la claire perspective de cette conception de la production et de sa juste ordonnance.

De toutes manières, l'heure présente exige des croyants qu'avec toutes leurs énergies ils fassent rendre à la doctrine sociale de l'Église son maximum d'efficience et son maximum de réalisations. C'est se faire illusion de croire, comme certains, qu'on pourrait désarmer l'anticléricalisme et la passion anticatholique en restreignant les principes du catholicisme au domaine de la vie privée : cette attitude « minimiste » ne ferait au contraire que fournir aux adversaires de l'Église de nouveaux prétextes. Les catholiques maintiendront et amélioreront leurs positions selon la mesure du courage qu'ils mettront à faire passer en actes leurs convictions intimes, dans le domaine entier de la vie, publique autant que privée.

Afin que la Semaine Sociale de Paris, qui va s'ouvrir, se montre digne de la longue série de ses devancières, Nous accordons avec une paternelle affection, comme datum optimum et donum perfectum, descendens a Patre luminum — don le meilleur et cadeau parfait venant du Père des lumières (Jc 1, 17) — et comme gage de ce don, à tous ceux qui prennent part à la session et particulièrement à ceux qui la dirigent, la Bénédiction apostolique qui Nous a été demandée.

Du Vatican, le 18 juillet 1947,

PIUS PP. XII

 


* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, IX,
Neuvième année de pontificat, 2 mars 1947 - 1er mars 1948, pp. 589-592
Typographie Polyglotte Vaticane

 



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