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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU PÈLERINAGE FRANÇAIS DE
L'UNION CATHOLIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC
*

Lundi de Pâques, 26 mars 1951

De quel scepticisme parfois même dédaigneux aurait été le jouet, au déclin du siècle dernier et à l'aurore de celui ci, l'audacieux qui eût alors prédit qu'un jour, un jour non lointain, Rome verrait accourir à elle, en nombre respectable, les membres catholiques de l'enseignement public de la France! Et pourtant, vous voici aujourd'hui, très chers fils et filles, près de trois mille, groupés en ce moment autour de Nous, comme des enfants confiants et aimants autour de leur père!

L'Université de France! Elle occupait une si belle place dans l'histoire de l'Eglise et de la Nation! elle a pris une part si belle au progrès de la civilisation et de l'humanisme chrétien! On ferait, avec les noms des grands hommes, des grands initiateurs et fondateurs, des grands saints, qu'elle a contribué à former, le plus glorieux « livre d'or »! Et tandis que ce bien se faisait avec un éclat resplendissant à la Sorbonne et dans les grandes et illustres Facultés, il se faisait aussi, discrètement et d'autre manière, dans les plus humbles écoles publiques, par le dévouement des « magisters » de village!

Qui pourrait s'étonner que les adversaires de l'Eglise, inconscients des vrais intérêts de la France, aient cherché à provoquer la fissure qui, dans leurs plans, devait, petit à petit, s'élargir et s'approfondir? Faute de principes doctrinaux, précis et fermes, le monde intellectuel, surtout depuis la fin du dix-huitième siècle, était mal préparé à découvrir les infiltrations dangereuses, à réagir contre leur pénétration insensiblement progressive. Même sans hostilité voulue, sans dessein préconçu, sans qu'on y prît garde, l'esprit incertain des maîtres même des plus illustres, le flottement et le vague de la pensée, devaient forcément faire sentir leurs effets dans l'instruction et dans l'éducation supérieure, secondaire, primaire de la jeunesse, effets de plus en plus étendus et profonds à chaque nouvelle génération.

Quant à l'impiété consciente, elle épiait et dirigeait pour l'exploiter, l'évolution, ou plus exactement la déviation des grands mots équivoques de neutralité et de laïcité. Aveuglée par ses succès, elle ne savait pas voir, cachée sous la cendre accumulée, presque étouffée par la contrainte, l'étincelle de vie chrétienne, de ferveur et de zèle, qui continuait de brûler, ardente, dans les cœurs des plus éminents parmi les savants et les intellectuels, dans ceux des héroïques instituteurs de l'enfance populaire.

Justement alors, au sein de l'enseignement public à tous ses degrés, en émouvante solidarité, maîtres et futurs maîtres encore élèves des écoles normales, commençaient à se montrer au grand jour; ils affichaient ouvertement leur foi et la faisaient respecter; de moins en moins on osait affirmer l'opposition de la science et de la religion, et ceux qui s'y hasardent — il s'en trouve encore aujourd'hui — s'exposent à faire figure de retardataires.

Hors de vos rangs, la plupart des vrais savants, des éducateurs consciencieux qui ne partagent pas vos convictions et votre ferveur, n'hésitent pas à vous témoigner leur estime ; et il n'en manque pas, parmi eux, qui dans les occasions Nous donnent à Nous-même les marques de leur plus sincère déférence. Nous en avons eu bien des exemples au cours de l'Année Sainte. Comment ne Nous réjouirions-Nous pas, sachant que ce revirement, humblement commencé et devenu si ample, est en grande partie votre mérite et celui de vos devanciers ? Faut-il rappeler l'action modeste, mais profonde et graduellement croissante, du « Bulletin national des instituteurs et des institutrices catholiques de l'enseignement public », du petit « bulletin vert », comme on disait alors, l'influence des premiers groupements, qui se formaient sous des noms divers et avec des nuances, et qui se multipliaient, tout en confluant vers une étroite et solide unité, pour une action commune, permanente et organisée ?

Ce qui Nous cause une particulièrement vive impression en vous voyant ici, c'est la plénitude de votre manifestation: plénitude par l'ampleur et la variété de votre assemblée d'enseignants et futurs enseignants de toutes les branches et de tous les ordres, plénitude par l'objet que vous visez, car vous ne faites pas de votre réunion uniquement la fière et publique attestation de votre appartenance à l'Église et de votre fidélité à sa doctrine et à sa discipline, de votre dévotion filiale envers le Vicaire de Jésus Christ: vous en faites surtout un rendez-vous fraternel destiné à promouvoir ensemble, à développer et perfectionner en vous-mêmes la vie intérieure de foi, de prière, de zèle apostolique, de piété liturgique et contemplative, âme de votre activité professionnelle, considérant vos Journées universitaires, non pas comme un Congrès, ni comme un simple pèlerinage, mais, suivant une heureuse et bien expressive formule, comme une sorte de grande retraite.

Vous avez grandement raison de mettre au premier plan de vos intentions votre progrès et votre perfectionnement spirituels. C'est votre valeur personnelle — humaine et chrétienne — qui doit être non seulement la base, mais le ressort de toute votre action efficace, aussi bien pour votre propre sanctification, que pour votre apostolat.

Car enfin votre force apostolique émane visiblement de l'exemple que vous donnez de votre foi et de votre conduite éminemment chrétienne. Elle émane invisiblement de la surabondance de votre vie intérieure surnaturelle, qui se déverse sur toutes les âmes, à commencer par celles qui vous sont les plus proches, qui vous sont, pour une bonne part, confiées.

C'est également avec raison que vous vous souciez aussi d'exercer, par votre ministère d'enseignement, une influence plus directe, et c'est ici qu'apparaît l'aspect délicat de votre apostolat.

Il était, à l'origine de votre mouvement, d'une indiscutable opportunité. L'évolution, encore bien partielle, de l'esprit, au cours de ce demi siècle, ne l'a pas rendu moins opportun. Nonobstant la continuelle sollicitude et l'insistance de l'Église à instruire les parents chrétiens du devoir primordial de donner à leurs enfants une éducation, dont l'élément religieux, doctrinal et moral, ne fût pas disjoint de l'instruction purement humaine, mais la pénétrât au contraire intimement, nonobstant les encouragements qu'elle donne aux militants, qui prodiguent avec désintéressement leurs efforts et leurs sacrifices pour soutenir et promouvoir l'école expressément catholique, il n'est pas moins vrai qu'un nombre immense d'enfants lui échappent par suite de circonstances trop souvent inéluctables, comme l'impossibilité de trouver à sa portée une école telle qu'on la souhaiterait, comme l'indifférence ou la négligence des familles, ou des considérations d'ordre temporel. Ces jeunes âmes seront-elles privées complètement de la formation chrétienne, à laquelle elles ont droit ?

À première vue, il semblerait que bien des entraves paralysent votre bonne volonté : interdiction d'aborder le terrain dit « confessionnel », étendu souvent par une acception abusive à tout le domaine religieux, variété infinie entre écoliers, élèves, étudiants, qui proviennent des milieux les plus divers, déjà marqués d'une première empreinte, où l'on reconnaît des formes d'éducation étrangement disparates ou l'absence de toute éducation, réserve qui s'impose à l'égard d'adolescents, dont les uns suivent des observances religieuses les plus hétéroclites, et dont les autres n'ont, hélas ! aucune religion.

Malgré tout, vous estimez pouvoir et devoir, sans la moindre ingérence illégitime ou simplement illégale, faire du bien, un grand bien à ces jeunes âmes. Le pouvez-vous donc autrement que par cette influence secrète de la grâce débordante, dont Nous venons de parler, et de la prière ?

L'Apôtre saint Paul déploie devant vos regards un très large horizon dans son épître aux Romains (1, 20) : « Les perfections invisibles de Dieu, écrit-il, son éternelle puissance et sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l'intelligence par le moyen de ses œuvres ». Faudrait-il, par ces « œuvres », entendre uniquement les créatures matérielles et immédiatement perceptibles aux sens ? Ou n'est-il pas certain qu'il faut compter aussi les grandes lois générales qui régissent le monde, et qui, même à défaut de la révélation et de la foi, se découvrent à la raison naturelle, loyale et attentive ? Or ce sont toutes les branches du savoir humain, qui manifestent à l'intelligence et les œuvres de Dieu, et ses lois éternelles, et leur application à la marche physique, morale, sociale, du monde. Bien plus, il est impossible à qui que ce soit d'exposer avec ampleur et impartialité l'histoire des événements et des institutions, sans que, en dehors même de toute présentation, de toute insinuation dogmatique ou apologétique, on y voie briller, dans une clarté surhumaine, la lumière du Christ et de son Église.

Courage, confiance, persévérance, chers fils et chères filles ! Votre tâche est trop belle, trop visiblement bénie de Dieu pour douter que, à travers les épreuves et les difficultés qui ne vous manqueront jamais, à travers aussi des succès dont vous faites continuellement l'expérience, elle parvienne, sinon à une victoire complète, du moins à de splendides résultats. Le bénéfice, qui en rejaillirait sur votre patrie elle-même, ne manquerait pas de dessiller bien des yeux, de concilier à votre œuvre la sympathie de plus d'un parmi ceux qui, de bonne foi, la regardent encore avec une certaine arrière pensée de défiance et de réserve. C'est l'objet de Nos plus chers désirs, de Notre plus ardente prière et, pour en hâter la réalisation, Nous implorons pour elle la faveur de Celui, qui par excellence, est appelé « le Maître », au nom de qui, dans toute l'effusion de Notre cœur paternel, Nous vous donnons à vous, à vos collègues, à vos élevés, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XIII,
Treizième année de Pontificat, 2 mars 1951 - 1er mars 1952, pp. 21-25
Typographie Polyglotte Vaticane



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