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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PÈLERINS VENUS À ROME POUR LA BÉATIFICATION
DE PLACIDE VIEL*

Mercredi 9 mai 1951

On serait tenté, chers fils et chères filles, de mettre sur les lèvres de votre bienheureuse Mère Placide Viel, certaines paroles de saint Paul, par lesquelles le grand Apôtre exprimait à la fois la pauvreté tremblante de sa nature, impuissante à accomplir la mission formidable que Dieu lui avait confiée, et la force qu'il sentait en lui, indomptable, par la grâce du Christ qui le réconfortait.

Comment, en effet, sinon par l'action d'une grâce toute surnaturelle, expliquer le contraste si frappant entre le tempérament, le caractère, les antécédents, la préparation de cette petite paysanne timide, gauche, sans instruction, sans la moindre expérience de la vie du monde, et sa carrière d'une activité rare, exceptionnelle, pour ne pas dire unique ?

Vous en rendez un témoignage d'une haute éloquence, vous tous, pèlerins accourus des diverses régions, pour lui porter l'hommage de votre admiration et de votre reconnaissance

Elle ne craint pas, elle n'a jamais craint le travail, ni le sacrifice, ni la souffrance, mais elle s'y exerçait dans les offices et les besognes les plus humbles, en sous-ordre au service de la cuisinière, occupée à laver la vaisselle, à couper le bois et les broussailles dans les haies pour préparer le feu. Telles sont ses attributions. Elle n'a pas encore vingt ans, et sa supérieure, la grande fondatrice, sainte Marie-Madeleine Postel, qui en a déjà soixante-dix-neuf, la désigne à l'Évêque comme celle qui devra être, immédiatement après elle, la Supérieure générale de la Congrégation.

Tout manque encore à la famille religieuse : édifices, finances, personnel. Sœur Placide, encore presqu'une enfant, est chargée de pourvoir à la fois à tout cela. Fondatrice de maisons et de communautés, maîtresse à vingt-sept ans d'une cinquantaine de novices, et avec cela quêteuse de fonds et de vocations.

N'étaient la précision et la véracité indiscutable des documents immédiats et détaillés, on hésiterait à croire vraie l'histoire de ses pérégrinations, d'abord avec une compagne, puis absolument seule. Faut-il voir ici l'essor soudain d'une nature ardente jusque là comprimée ? Non, car elle, qui n'avait jamais quitté son village, qui, renfermée dans son couvent, tremblait à la pensée de traverser la rue, est restée tellement la même que, à peine franchie la porte de la maison, elle se sent défaillir, elle rebrousse chemin et va se jeter dans les bras de sa sainte Mère, qui l'envoie passer une demi-heure devant le Saint-Sacrement. Alors, mais seulement alors, c'est la transformation. Elle est prête, et la voilà désormais sur les grand' routes et à travers bois, aux champs et à la ville, par tous les temps, sous la pluie et dans la neige, de jour et de nuit, dormant à la belle étoile ou dans des cabanes peu rassurantes. Elle parcourt ainsi la France, la Prusse, l'Autriche, la Westphalie, la Belgique, sans connaître les langues. Elle s'introduit d'elle-même, sans la moindre recommandation ou présentation, à l'improviste, dans les bureaux des ministères, dans les évêchés, dans les cours royales et princières. Dans ses visites aux souverains, dans ses démarches, les personnages si divers, qu'elle aborde de sa propre initiative, ne savent qu'admirer davantage sa déconcertante simplicité ou son aisance modeste et désinvolte.

C'est ainsi qu'elle fonde maisons, pensionnats, écoles à la campagne et en ville, y compris un établissement considérable à Paris en plein quartier populaire, un noviciat en Westphalie !

En 1846, Marie Madeleine Postel mourait presque nonagénaire. Sœur Placide, entre deux expéditions, est élue à sa place Supérieure générale, à l'unanimité moins deux voix, dont elle devra longtemps sentir douloureusement l'hostilité. À peine assumée sa charge, elle reprend sa vie de courses, menant de front son activité de fondations, de quêtes, de recrutement, de gouvernement, joignant la plus maternelle tendresse pour la fragilité à la plus inflexible fermeté en matière d'obéissance et de régularité.

Ah ! chères filles, quelle leçon, quel exemple et quelle obligation pour vous de marcher sur les traces de vos deux premières Mères, d'avoir comme elles une vie pleine et sainte ! Qui d'entre vous pourrait alléguer comme excuse un plus grand écart entre l'indigence de la nature et la richesse de la grâce ? ... C'est encore sur une parole de saint Paul que Nous vous laisserons : « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis, et sa grâce, en moi, n'a pas été vaine ; j'ai travaillé plus que tous, non pas moi pourtant, mais la grâce de Dieu, qui est avec moi » (I Co 15, 10). En appelant sur vous toute cette grâce souverainement puissante et transformante, Nous vous donnons de tout cœur, à vous, à vos sœurs répandues par le monde, à vos œuvres, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XIII,
Treizième année de Pontificat, 2 mars 1951 - 1er mars 1952, pp. 81-83
Typographie Polyglotte Vaticane



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