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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU PREMIER CONGRÈS CATHOLIQUE INTERNATIONAL SUR LES PROBLÈMES DE LA VIE RURALE*

Salle Clémentine - Lundi 2 juillet 1951

Soyez ici les bienvenus, chers fils et chères filles, qu'un commun attachement aux principes chrétiens et à la doctrine sociale catholique a rassemblés de partout, des plus lointains pays d'outre-mer, comme des plus proches régions de l'Europe, pour traiter des problèmes de la vie rurale. Vous soulignez, en ce moment, l'esprit dans lequel vous avez mené vos débats en exprimant le désir que, par sa vertu surnaturelle, la bénédiction du Vicaire de Jésus Christ vienne en féconder les conclusions et les résultats.

Avec une louable ampleur de vues, votre Congrès a voulu étendre son étude à tous les hommes qui vivent à la campagne, les uns directement occupés à travailler le sol pour lui faire fournir les produits végétaux et animaux destinés à satisfaire leurs propres besoins et ceux de leurs semblables, les autres vivant auprès d'eux et parmi eux pour leur rendre les divers services qui leur sont nécessaires.

Une double constatation, avant tout raisonnement, impose aux moins attentifs la conviction de l'importance de ces problèmes. D'une part, le fait que la plus large fraction de l'humanité vit ainsi à la campagne, soit dans les fermes isolées, soit dans les villages, soit dans les bourgs ; d'autre part, le fait, que tout en concernant immédiatement ces populations, ces problèmes, par leur résonance médiate, intéressent au premier chef l'humanité tout entière et sont en relation avec la structure interne de l'État et même de l'Église, par l'influence profonde exercée sur l'évolution biologique et intellectuelle, spirituelle et religieuse de l'humanité.

Déjà Notre prédécesseur Pie XI de sainte mémoire, dans son Encyclique Quadragesimo anno, parlant des conséquences favorables ou défavorables du régime économique du capitalisme industriel, avait attiré l'attention sur les habitants des campagnes (cfr. Acta Ap. Sedis, vol. 23, 1931, p. 210). La question n'a rien perdu de sa gravité. De pair avec son influence sur l'évolution d'ensemble de toute l'économie (et cet état de choses dure encore), ce système économique devait forcément faire sentir également son influence sur les conditions spirituelles, sociales, matérielles des populations rurales. Bien plus, on peut dire, aujourd'hui, que le destin de toute l'humanité est en jeu : arrivera-t-on, oui ou non, à mieux proportionner cette influence en sorte de conserver à la vie spirituelle, sociale, économique du monde rural sa physionomie propre, à lui assurer sur la société humaine tout entière une action, sinon prépondérante, au moins égale ?

Serait-ce qu'il y eût, sur ce terrain, des causes de conflits inconciliables ? Nullement. Dès lors que l'on reste dans les conditions naturelles de la vie humaine et de son perfectionnement, la division du travail et des fonctions ne peut engendrer inévitablement de pareils conflits. Tout bon esprit doit reconnaître que le régime économique du capitalisme industriel a contribué à rendre possible, voire à stimuler le progrès du rendement agricole ; qu'il a permis, en maintes régions du monde, d'élever à un niveau supérieur la vie physique et spirituelle de la population des-campagnes. Ce n'est donc pas au régime lui-même qu'il faut s'en prendre, mais au danger qu'il ferait courir, si son influence venait à altérer le caractère spécifique de la vie rurale, en l'assimilant à la vie des centres urbains et industriels, en faisant de la « campagne », telle qu'on l'entend ici, une simple extension ou annexe de la « ville ».

Une telle pratique, et la théorie qui l'appuie, est fausse et nocive. C'est, comme on le sait, le marxisme qui la professe: il est tombé dans la superstition du technicisme et de l'industrialisation à outrance. La « collectivisation » du travail agricole, à la manière d'une usine ; la dégradation de la campagne, réduite à n'être plus qu'une réserve de main-d'œuvre pour la production industrielle, voilà où le marxisme conduit. Mais voilà où conduisent également les principes fondamentaux du libéralisme économique, dès que la recherche du lucre, de la part du capitalisme financier, pèse de tout son poids sur la vie économique, dès que les enchaînements de l'économie nationale sont considérés unilatéralement en vue du marché, comme un simple mécanisme des prix. Et voici des conséquences identiques pour les populations rurales abusées par le capitalisme industriel : ou simple réservoir de main-d'œuvre ; ou léthargie dans une existence misérable, soumise aux plus dangereuses tensions.

Sans être la cause unique de l'« exode » rural, que de nos jours on déplore à peu près partout, la part prédominante donnée aux intérêts du capitalisme industriel, dans la production et la distribution des revenus, y joue son rôle. Ce serait donc minimiser le douloureux phénomène que de parler seulement d'« abandon ». On doit, en toute loyauté, dire « exode », afin de bien faire sentir à chacun comment une évolution unilatérale de l'économie aboutit à désagréger la structure humaine et sociale de tout un peuple. Finalement, faute d'une population rurale capable et entreprenante, le sol, laissé en friche par incurie ou épuisé par un forçage malhabile, perd graduellement sa productivité naturelle, et l'économie sociale elle-même est entraînée dans une crise des plus graves.

Aujourd'hui des occasions se présentent de décider si l'on continuera de poursuivre une « rentabilité » unilatérale et à courte vue, ou bien si l'on entend l'orienter vers l'ensemble de l'économie sociale, qui est sa fin objective. En voici des exemples : l'aide envisagée pour les régions « arriérées » ; la réforme agraire, heureusement amorcée ici ou là ; l'émigration et l'immigration, favorisées par des règlements internationaux; un meilleur groupement régional d'économies nationales complémentaires ; une meilleure distribution des forces productives sur le territoire nationale. Toutes ces mesures doivent avoir pour but, entre autres, d'assurer partout au peuple des campagnes son propre caractère, son propre ascendant, sa valeur propre dans l'économie et dans la société.

C'est exactement ce qu'il faut rappeler, quand on déplore les défauts et les froissements des rapports humains, qui résultent des structures du travail dans le monde de l'industrie capitaliste. On se plaint, en effet, de ce que le labeur ait, pour ainsi dire, « perdu son âme », c'est-à-dire le sens personnel et social de la vie humaine ; on se plaint de ce que le labeur, oppressé de toute part par un ensemble d'organisations, voie cette vie humaine transformée en gigantesque automatisme, dont les hommes sont les rouages inconscients ; on se plaint de ce que la technique, « standardisant » tous les gestes, joue au détriment de l'individualité et de la personnalité du travailleur.

Un remède, universellement applicable, peut être difficile à trouver : il n'en reste pas moins que le travail des terriens oppose à tous ces désordres une défense puissante. Nous pensons ici d'abord à l'exploitation paysanne, à l'exploitation familiale. Telle est la classe rurale qui, par l'ensemble de son caractère social, et aussi par son rôle économique, f orme comme le noyau d'une saine paysannerie. Cela ne revient pas à nier l'utilité, souvent la' nécessité, d'exploitations agraires plus vastes. Néanmoins, en contact permanent avec la nature, telle que Dieu l'a créée et la gouverne, le travailleur des champs sait par expérience quotidienne que la vie humaine est entre les mains de son Auteur. Nul autre groupement de travail n'est aussi adapté que le sien à la vie de famille, en tant qu'unité spirituelle, économique et juridique, et même en ce qui concerne la production et la consommation. Si dur que soit ce travail, l'homme s'y trouve encore maître de son monde par l'activité au milieu de la communauté: de la famille, de l'entourage, et aussi, subsidiairement, de coopératives économiques variées, pourvu toutefois qu'elles restent en vérité et non seulement pour la forme, fondées sur la responsabilité de tous les participants. Quant à la technique moderne, dans toute la mesure où elle doit aujourd'hui se mettre au service de l'exploitation paysanne, elle s'adaptera naturellement aux données concrètes de chaque cas particulier : de la sorte, elle laissera indemne le caractère individuel du travail agricole.

Loin de Nous tout romantisme irréel. Avec beaucoup de patience et de doigté, il faut remettre le monde paysan sur la voie de son salut, combattre ses défauts, vaincre la fascination d'un monde qui lui est étranger.

De plus, la législation sociale moderne doit offrir aussi ses avantages aux populations rurales, mais en conformité avec leur caractère propre. Avant tout, qu'on leur donne la possibilité d'une éducation soignée, sagement adaptée à leurs besoins, stimulant leur perfectionnement professionnel. En outre — cela va de soi — Nous ne saurions insister trop vigoureusement pour qu'on donne aux populations catholiques une sérieuse formation catholique.

Il Nous est particulièrement agréable de pouvoir accueillir votre Congrès précisément en ce temps, où des organisations et institutions internationales d'agriculture, qui ont déjà louablement fait leurs preuves, installent leur siège en la Ville éternelle ou continuent d'y développer leur activité. Et Nous sommes heureux d'assurer tous les Offices et Instituts des Nations unies, destinés à porter une aide internationale à l'homme du travail, que l'Église est toujours prête à les soutenir de sa plus sympathique collaboration.

De tout cœur Nous prions la divine Providence de bénir tant d'efforts et Nous vous donnons, avec la plus vive affection, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XIII,
Treizième année de Pontificat, 2 mars 1951 - 1er mars 1952, pp. 197-201
Typographie Polyglotte Vaticane



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