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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AUX « JOURNÉES INTERNATIONALES SUR LA FAMILLE »
SUR LE THÈME « LES FAMILLES PRIVÉES DU PÈRE »,
ORGANISÉES PAR L'UNION INTERNATIONALE DES ORGANISMES FAMILIAUX

Lundi 16 septembre 1957

 

Nous accueillons bien volontiers les congressistes qui participent aux « Journées familiales internationales », organisées par l'« Union internationale des Organismes familiaux ». Au cours des années précédentes, vous avez étudié nombre de problèmes économiques, sociaux ou éducatifs intéressant la vie des familles ; Nous vous exprimons Nos félicitations pour les résultats obtenus et les améliorations, que vous avez pu déterminer dans un domaine qui Nous tient fort à cœur.

Vous abordez cette année un sujet qui mérite certes la plus vive sollicitude et la sympathie agissante de tous : celui des familles privées de père. Sujet auquel jusqu'ici on n'a pas prêté assez d'attention, en partie à cause de l'impuissance même où se trouvent ces foyers sur le plan de l'action sociale. Aussi appartient-il à des organismes tels que le vôtre d'entreprendre l'examen systématique des conditions de vie toujours pénibles, et parfois écrasantes, qui pèsent sur les veuves et les orphelins. Rassemblant d'abord dans une enquête préalable les informations statistiques sur le nombre et la situation de ces familles, vous avez cherché à tracer un tableau de leur condition juridique ; puis, sur la base de ces données, vous abordez les problèmes économiques, professionnels, psychologiques et éducatifs qui les concernent. Nous espérons que les résultats de ces recherches et discussions ne tarderont pas à se manifester et qu'ils seront désormais, chez tous ceux qui travaillent à améliorer le sort des familles les plus éprouvées, le point de départ d'une action sérieuse et prolongée pour remédier, dans la mesure du possible, à tant de souffrances toujours vives.

Sans traiter expressément les questions que vous étudiez, Nous Nous proposons de dire ici quelques mots sur le problème spirituel et religieux du veuvage et de préciser les attitudes intérieures et les dispositions, qui conviennent à la veuve chrétienne et commandent l'orientation de sa vie. Nous pensons surtout avec une paternelle sollicitude à celles qui, jeunes encore, ont la charge d'une famille à élever et sont donc les plus lourdement frappées par la disparition de leur mari.

On remarque souvent que le mot même de « veuve » évoque, chez ceux qui l'entendent, une impression de tristesse et même une sorte d'éloignement ; aussi d'aucunes se refusent à le porter et s'efforcent par tous les moyens de faire oublier leur condition, sous prétexte qu'elle humilie, excite la commisération, les met dans un état d'infériorité, dont elles veulent s'évader et effacer jusqu'au souvenir. Réaction normale aux yeux de beaucoup mais, disons-le bien clairement, réaction peu chrétienne ; elle comporte sans doute un mouvement d'appréhension plus ou moins instinctif devant la souffrance, mais trahit aussi une ignorance des réalités profondes.

Quand la mort frappe un chef de famille dans la force de l'âge et l'enlève à son foyer, elle plante en même temps au cœur de l'épouse une croix très lourde, une douleur ineffaçable, celle de l'être à qui on arrache la meilleure part de lui-même, la personne aimée qui fut le centre de son affection, l'idéal de sa vie, la force calme et douce, sur laquelle il était si rassurant de s'appuyer, le consolateur capable de comprendre toutes les peines et de les apaiser. Soudain, voici que la femme se trouve affreusement seule, délaissée, pliée sous le poids de sa douleur et des responsabilités qu'elle doit affronter : comment assurer sa subsistance et celle de ses enfants ? Comment résoudre le cruel dilemme : s'occuper des siens ou quitter, la maison pour aller gagner son pain quotidien ? Comment conserver son indépendance légitime malgré les recours nécessaires à l'aide de proches parents ou d'autres familles ? Il suffit d'évoquer ces questions pour comprendre à quel point l'âme de la veuve éprouve une sensation d'accablement et parfois de révolte devant l'immensité de l'amertume qui l'abreuve, de l'angoisse qui l'enserre comme d'une infranchissable muraille. Aussi certaines s'abandonnent à une sorte de résignation passive, perdent le goût de vivre, refusent de sortir de leur souffrance, tandis que d'autres, au contraire, tâchent d'oublier et se créent des alibis, qui les dispensent d'affronter loyalement et courageusement leurs vraies responsabilités.

Aux premiers siècles de l'Eglise, l'organisation des communautés chrétiennes assignait aux veuves un rôle particulier. Le Christ durant sa vie mortelle leur témoignait une bienveillance spéciale, et les apôtres, après lui, les recommandent à l'affection des chrétiens et leur tracent des règles de vie et de perfection. Saint Paul décrit la veuve comme « celle qui a mis son espoir en Dieu et persévère nuit et jour dans les supplications et les prières » (1Tm 5,5).

Bien que l'Eglise ne condamne pas les secondes noces, elle marque sa prédilection pour les âmes, qui veulent rester fidèles à leur époux et au symbolisme parfait du sacrement de mariage. Elle se réjouit de voir cultiver les richesses spirituelles propres à cet état. La première de toutes, Nous semble-t-il, est la conviction vécue que, loin de détruire les liens d'amour humain et surnaturel contractés par le mariage, la mort peut les perfectionner et les renforcer. Sans doute, sur le plan purement juridique et sur celui des réalités sensibles, l'institution matrimoniale n'existe plus ; mais ce qui en constituait l'âme, ce qui lui donnait vigueur et beauté, l'amour conjugal avec toute sa splendeur et ses vœux d'éternité, subsiste, comme subsistent les êtres spirituels et libres qui se sont voués l'un à l'autre. Quand l'un des conjoints, libéré des attaches charnelles, entre dans l'intimité divine, Dieu le délivre de toute faiblesse et de toutes les scories de l'égoïsme ; il invite aussi celui qui est resté sur terre à s'établir dans une disposition d'âme plus pure et plus spirituelle. Puisque l'un des époux a consommé son sacrifice, ne faut-il pas que l'autre accepte de se détacher davantage de la terre et de renoncer aux joies intenses, mais fugaces, de l'affection sensible et charnelle, qui liait l'époux au foyer et accaparait son cœur et ses énergies ? Par l'acceptation de la croix, de la séparation, du renoncement à la présence chère, il s'agit maintenant de conquérir une autre présence, plus intime, plus profonde, plus forte. Une présence qui sera aussi purifiante ; car celui, qui voit Dieu face à face, ne tolère pas en ceux, qu'il a le plus aimés pendant son existence terrestre, le repliement sur soi, le découragement, les attachements inconsistants. Si déjà le sacrement de mariage, symbole de l'amour rédempteur du Christ pour son Eglise, applique à l'époux et à l'épouse la réalité de cet amour, les transfigure, les rend semblables l'un au Christ, qui se livre pour sauver l'humanité, l'autre à l'Eglise rachetée, qui accepte de participer au sacrifice du Christ, alors le veuvage devient en quelque sorte l'aboutissement de cette consécration mutuelle ; il figure la vie présente de l'Eglise militante, privée de la vision de son époux céleste, avec qui cependant elle reste indéfectiblement unie, marchant vers lui dans la foi et l'espérance, vivant de cet amour qui la soutient dans toutes ses épreuves, et attendant impatiemment l'accomplissement définitif des promesses initiales.

Telle est la grandeur du veuvage, quand il est vécu comme le prolongement des grâces du mariage et la préparation de leur épanouissement dans la lumière de Dieu. Quelle pauvre consolation humaine pourrait jamais égaler ces merveilleuses perspectives ? Mais aussi faut-il mériter d'en pénétrer le sens et la portée, et demander cette compréhension par une prière humble, attentive, et par l'acceptation courageuse des volontés du Seigneur.

Il est relativement facile pour une femme, qui vit intensément son christianisme et dont le mariage n'a jamais connu de crises graves, de s'élever jusque là. Mais d'aucunes ont traversé, dans leur vie conjugale, des périodes pénibles à cause de l'incompréhension ou de l'inconduite de leur époux ; d'autres ont résisté héroïquement pour ne pas déserter un foyer, qui ne leur apportait que déceptions, humiliations, épuisement physique et moral. La mort du conjoint peut apparaître dans ces cas comme une libération providentielle d'un joug devenu trop lourd.

Et cependant, devant le mystère de la mort et des jugements divins, au souvenir des promesses de miséricorde et de résurrection qu'apporte la révélation chrétienne, l'épouse malheureuse et non coupable ne peut nourrir d'autres sentiments que ceux du Christ lui-même devant les hommes pécheurs : celui du pardon volontaire, celui de l'intercession généreuse. Les blessures du passé, les souvenirs attristants deviennent alors un moyen efficace de rachat ; offerts à Dieu pour l'âme du défunt, mort dans la charité du Christ, ils expient pour ses fautes et hâtent pour lui la vision béatifique. Une telle attitude, inspirée par un sens profond de l'union conjugale et de sa valeur de rédemption, n'est-elle pas la seule solution authentiquement chrétienne, capable de guérir les plaies encore saignantes, d'effacer amertume et vains regrets, et de restaurer ce qui semblait irrémédiablement perdu ?

Comme il serait erroné, par contre, de profiter du veuvage pour s'affranchir de la réserve et de la prudence qui conviennent aux femmes seules, et s'abandonner aux vanités d'une vie facile et superficielle. C'est méconnaître la faiblesse du cœur humain, trop avide de peupler une solitude ingrate, et les périls de fréquentations apparemment inoffensives, mais sanctionnés trop souvent par des chutes regrettables.

Aussi souhaitons-Nous vivement que les efforts entrepris pour faire comprendre la grandeur du veuvage chrétien soient poursuivis avec persévérance. Nous savons que déjà beaucoup de veuves, dirigées par des guides spirituels compétents et grâce à l'entraide de leurs groupements, se sont ouvertes aux sublimes enseignements de la foi. Que chacune de celles, dont le compagnon de route a été rappelé à Dieu, se persuade de la nécessité impérieuse de cultiver sa vie spirituelle, si elle veut garder la paix intérieure et faire face sans défaillir à toutes ses tâches. Qu'elle ne laisse passer aucun jour, sans s'accorder un temps de recueillement, quelques moments privilégiés où elle se sentira plus près du Seigneur et plus près de celui qui/continue à veiller sur elle et sur son foyer. Qu'elle se réserve aussi chaque année quelques jours consacrés plus exclusivement à la réflexion et à la prière, loin du bruit, des soucis quotidiens tellement accablants. Elle y trouvera une sécurité inexprimable qui illuminera toutes ses décisions et lui permettra d'assumer avec fermeté ses responsabilités de chef de famille. Cette prière s'accompagnera, il va sans dire, de la pratique sacramentelle, de la participation à la liturgie et de la mise en œuvre des autres moyens de sanctification, qui l'aideront à se défendre des tentations insidieuses, celles du cœur et des sens en particulier.

Dans son foyer, la veuve continuera à pratiquer le don d'elle-même, qu'elle a promis au jour de son mariage. Ses enfants attendent tout d'elle, puisqu'elle tient aussi la place du père. La veuve de son côté reporte sur ses enfants l'affection sensible qu'elle donnait à son mari ; elle s'attache tendrement à eux et pourtant, en cela aussi, elle doit rester fidèle à sa mission, faire taire les appels trop pressants d'un cœur sensibilisé à l'extrême, pour assurer à ses enfants une formation virile, solide, ouverte sur la société, pour leur laisser la liberté à laquelle ils ont droit, en particulier dans le choix d'un état de vie. Il serait funeste de se consumer en vains regrets, de se complaire en souvenirs amollissants où, à l'inverse, de se laisser épouvanter par de sombres perspectives d'avenir. La veuve se consacrera à sa tâche d'éducatrice avec la délicatesse et le tact d'une mère sans doute, mais restera unie en esprit à son mari, qui lui suggérera en Dieu les attitudes à prendre, lui donnera autorité et clairvoyance. Il faut que le souvenir de l'absent, au lieu d'empêcher ou de ralentir l'élan généreux et l'application aux tâches nécessaires, inspire le courage de les accomplir intégralement.

Dans les relations sociales, la veuve ne peut renoncer à la place qui lui revient. Sans doute, apparaît-elle du dehors entourée d'une réserve plus marquée, car elle participe davantage au mystère de la Croix et la gravité de son comportement trahit l'emprise de Dieu sur sa vie. Mais précisément pour cette raison, elle possède un message à délivrer aux hommes qui l'entourent : elle est celle qui vit davantage de la foi, celle qui a conquis par sa douleur l'accès d'un monde plus serein, surnaturel. Elle ne prend pas appui sur l'abondance des biens temporels, dont elle est souvent dépourvue, mais sur sa confiance en Dieu. Aux foyers trop fermés ou repliés sur eux-mêmes, et qui n'ont pas encore découvert le sens plénier de l'amour conjugal, elle dira les purifications et les détachements nécessaires, la fidélité sans repentance qu'il exige. Auprès des autres veuves en particulier, elle se sentira spécialement chargée de les aider à parfaire leur sacrifice, à en saisir la signification, en s'élevant au-dessus des simples vues humaines pour en percevoir les prolongements éternels. Pour tous, elle sera celle dont la charité silencieuse et délicate s'empresse à rendre service, d'un mot, d'un geste, partout où se révèle un besoin plus urgent, une peine plus vive. Dans ses relations familiales, professionnelles ou d'amitié, elle apportera la note distinctive qui caractérise son apostolat : le témoignage de sa fidélité à une mémoire chère, et celui d'avoir trouvé, dans cette fidélité et dans les renoncements qu'elle impose, un bonheur plus profond, plus stable, plus lumineux, que celui auquel elle a dû renoncer.

Aux heures plus austères et dans les tentations de découragement, elle évoquera la chaste héroïne Judith, qui n'hésita pas à courir les plus graves périls pour sauver son peuple de la ruine et mit en Dieu toute sa confiance. Elle pensera surtout à la Vierge Marie, veuve elle aussi, qui après le départ de son fils, resta dans l'Eglise primitive celle, dont la prière, la vie intérieure, le dévouement caché attiraient sans cesse les bénédictions divines sur la communauté. Lorsqu'elle éprouvera davantage le déclin de ses forces physiques, sa pauvreté, son impuissance à travailler beaucoup, à prendre encore part aux activités de charité ou d'apostolat, qu'elle se rappelle la parole de Jésus regardant les riches déposer leurs offrandes dans le trésor, et, après eux, une pauvre veuve qui y mettait deux menues pièces de monnaie : « Vraiment, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu'eux tous » (Lc 21,2-3). Ce que le Seigneur disait de cette modeste obole s'applique aussi aux moindres services qu'une veuve peut rendre, pourvu qu'ils partent d'un cœur appartenant davantage à Dieu, d'un cœur grandi par l'épreuve, plus proche aussi de ceux qu'il aime, et capable de répandre autour de lui les reflets les plus purs de l'amour qui le possède.

En gage des faveurs divines, que Nous appelons sur vous-mêmes, sur vos familles et ceux qui vous sont chers, et sur toutes celles qui dans le monde entier découvrent dans le veuvage une voie qui tend vers la découverte plénière de l'amour divin, Nous vous accordons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.

 


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