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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX MEMBRES DE LA COMMISSION CONSULTATIVE INTERNATIONALE D'ENTREPRENEURS DE L'INDUSTRIE CHIMIQUE *

Salle du Consistoire - Vendredi 10 janvier 1958

 

Il Nous est agréable, Messieurs, de vous recevoir à l'occasion de la rencontre amicale que vous tenez à Rome ces jours-ci, et de saluer ainsi les représentants des groupes les plus importants d'industries chimiques en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Vos réunions ont pour but d'examiner divers sujets de caractère social, en particulier la question des mesures adoptées dans les usines pour protéger la santé et assurer la sécurité des travailleurs, ainsi que le problème des relations professionnelles. Vous entendez ainsi préparer la discussion des thèmes figurant au programme de la Commission des Industries Chimiques au Bureau International du Travail.

Nous ne pouvons que Nous réjouir de voir aborder ces sujets par les chefs responsables d'un secteur industriel encore jeune, et qui participe étroitement aux développements de la technique moderne. Vous vous élevez d'abord avec fermeté contre le préjugé courant, qui considère le personnel des usines de produits chimiques comme particulièrement exposé aux maladies professionnelles et aux accidents. Les épaisses traînées de fumée fuligineuse qui s'échappent des cheminées, les odeurs désagréables, l'apparence quelque peu mystérieuse des processus chimiques, suffisent à l'imagination pour édifier mille hypothèses gratuites et avancer que ce genre d'industrie exerce des effets particulièrement néfastes sur la santé de ceux qu'elle emploie.

Aussi avez-vous désiré que des enquêtes précises et objectives fixent le nombre et l'importance des accidents et des maladies encourus par vos ouvriers. Bien que cette enquête n'ait été entreprise en Italie que depuis 1955, elle démontre aisément, — selon les renseignements, que vous avez bien voulu Nous transmettre, — que la fréquence et la gravité de ces accidents et maladies sont notablement moindres dans l'industrie chimique que pour la moyenne de toutes les autres activités industrielles. Ainsi se trouve réfutée par les faits une généralisation dépourvue de fondement réel. Cette constatation rassurante ne peut cependant légitimer un relâchement de vigilance, ni faire reléguer au second plan les problèmes de sécurité et de salubrité. Peut-être certains établissements conservent-ils encore une proportion d'accidents plus élevée, par insuffisance des moyens de protection ou par défaut de modernisation des installations ; il importe donc qu'ils appliquent sans retard les mesures opportunes pour y remédier. Mais sans aucun doute, devez-vous tendre pour l'ensemble de votre industrie à l'amélioration des conditions de travail, à la sécurité la plus grande possible de la main-d'œuvre, à sa protection plus efficace contre les dangers inhérents au travail lui-même ou contre ceux que provoque le manque de compétence ou la négligence. C'est là un devoir commun à tous les dirigeants d'industrie, mais Nous espérons que vous aurez à cœur de conserver et même d'accroître la marge d'écart qui maintient vos statistiques des accidents et maladies professionnelles en dessous de la moyenne générale.

Le problème de la sécurité ne constitue d'ailleurs qu'un aspect de celui, plus large, des conditions humaines du travail en usine. La collaboration de l'employeur et de son personnel dans l'activité de production obéit à des mobiles apparemment divergents, mais dont les études sociales récentes découvrent mieux la coïncidence profonde. Le patron veut naturellement augmenter le rendement de la main-d'œuvre par une meilleure organisation de la production, tandis que l'ouvrier aspire à une participation plus large au fruit de ses efforts, matérialisé dans le salaire. Mais les chefs d'industrie, éclairés par une connaissance plus exacte des exigences réelles du travail humain, de ses facteurs psychologiques individuels et sociaux, en viennent de plus en plus, à subordonner les éléments purement économiques de la production aux impératifs issus de la nature spirituelle de l'homme, des légitimes aspirations de son esprit et de ses dispositions affectives. Les gens compétents reconnaissent que devant un travail inadapté qui méconnait ou avilit sa personnalité au lieu de l'épanouir, le travailleur ralentit son effort productif et réduit ainsi considérablement les avantages obtenus depuis vingt-cinq ans par la mécanisation. Des psychologues ont essayé de classer les influences nombreuses qui déterminent le comportement de l'ouvrier devant son travail. Il semble que la plus notable soit l'intérêt actif, qui fixe l'homme à sa tâche et lui donne l'impression de mettre en œuvre ses ressources personnelles et de les développer. L'ouvrier sent alors qu'il engage non seulement ses forces musculaires mais aussi son âme et que ses peines sont récompensées d'abord par la fierté de l'œuvre accomplie qui le grandit lui-même. Au lieu de voir uniquement dans son travail le moyen de gagner un salaire, il y découvre le sens de sa vie, la valeur de son être personnel et social.

Si déjà au simple point de vue de la productivité, cet élément mérite la sérieuse attention des chefs d'entreprises, il s'impose bien davantage à qui s'élève jusqu'au plan de la conscience humaine et de ses responsabilités absolues. Celles-ci, le Christ les a nettement exprimées quand il déclarait, en sa qualité de Souverain-Juge, que tout ce qu'on ferait au moindre des siens, c'est à lui-même qu'on le ferait (cf Mt 25, 40). Respectueux des personnes et de leurs droits inaliénables, conscient de la solidarité profonde qui le relie au plus humble de ses semblables, l'homme de cœur, le chrétien surtout, ne permet pas qu'on juge les faits économiques et les situations sociales à la lumière du déterminisme de lois aveugles ou d'une évolution historique inexorable. Il souffre profondément de voir que l'ouvrier d'aujourd'hui reste trop souvent étranger à son travail, enchainé à un labeur qui l'enserre comme un carcan, au lieu de lui donner, si modeste soit-elle, une possibilité d'épanouissement.

Nous savons, Messieurs, que vous êtes conscients de cette difficulté et soucieux d'échanger vos expériences et vos idées pour améliorer progressivement une situation que vous n'avez pas créée vous-mêmes. N'ayez de cesse que vos entreprises puissent assurer à tout leur personnel les moyens de s'épanouir comme travailleurs et comme hommes, dans un effort productif sans doute mais aussi profondément éducatif, qui leur donne la conscience de leur rôle social, de leur importance, de l'efficacité de leur collaboration à l'œuvre commune. Ainsi vous approcherez-vous davantage de l'idéal proposé par l'Évangile à ceux qui sont investis d'une responsabilité sociale, l'idéal de la charité qui n'est point condescendance occasionnelle, mais souci constant du bien d'autrui et de son accomplissement personnel et social dans l'ordre voulu par Dieu.

En souhaitant de tout cœur que vos travaux obtiennent tous les résultats féconds que vous en attendez, et comme gage des faveurs célestes, Nous vous accordons bien volontiers Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et Messages-radio de S. S. Pie XII, XIX,
Dix-neuvième année de Pontificat, 2 mars 1957 - 1er mars 1958, pp. 715-717
Typographie Polyglotte Vaticane



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